La diplomatie des céréales sous tension

Une nouvelle géopolitique de la sécurité alimentaire mondiale. Quelle place pour la France et l’Europe ? », Tel était l’intitulé du forum organisé le 21 octobre par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le Club Demeter.

La guerre en Ukraine rappelle que les céréales sont au cœur de la problématique de la stabilité de la planète, dans son ensemble. Ce qui explique qu’en ouverture du forum, par vidéo interposée, le président Emmanuel Macron ait parlé de « diplomatie des céréales ». Un haut-fonctionnaire du ministère a d’ailleurs affirmé que Moscou « organisait la pénurie » et « faisait un chantage à la sécurité alimentaire ».

Certes les corridors maritimes en Mer noire sont en place depuis le 22 juillet. Ils ont permis de faire partir plus de 10Mt de céréales d’Ukraine et ainsi participé à la stabilisation des marchés mondiaux, même si les cours restent élevés à environ 330 €/tonne. Mais l’accord pour ces corridors ne tient que jusqu’au 19 novembre. Après cette date, quelle sera l’attitude des Russes dont les récoltes sont quantitativement excellentes (environ 100 Mt) mais peu qualitatives car trop humides ? Les experts sont plutôt partagés. Pour Arnaud Petit, directeur général du Conseil international des céréales (CIC), le risque est « réel » que Vladimir Poutine ne le reconduise pas. Il faut aussi craindre un manque de disponibilité sur le blé meunier et, en plus d’une possible désorganisation logistique, appréhender un retour de la Niña en Amérique du Sud, ce qui compromettrait les récoltes brésiliennes et argentines, dont les résultats seront connus en février/mars prochain. Thomas Gomart, directeur général de l’Institut français des relations internationales (IFRI) pense que la Russie aurait « tout intérêt à prolonger l’accord fin novembre pour poursuivre le corridor », mais que la volonté de son dirigeant, Vladimir Poutine, de basculer dans une logique autarcique pourrait être supérieure à celle de contribuer au système alimentaire mondial.

Opacité du marché russe

Raphaël Latz, responsable de Louis Dreyfus Commodities Europe, rappelle que 85 % des pays n’appliquent pas les sanctions envers la Russie. Ils sont d’ailleurs une très large majorité à dépendre directement des céréales de Moscou. « Ce sont deux mondes qui vivent en parallèle quant à l’approvisionnement en grains. On se dirige tout droit vers un Gazprom du grain », a-t-il dit, en référence au géant russe du gaz qui détient l’immense partie des réserves de gaz russes et le plus grand réseau de gazoducs au monde (160 000 km).

Sur le marché des céréales, il y a peu de chances que leurs cours baissent, a glissé Arnaud Petit. Tout d’abord parce que les coûts logistiques augmentent sous un double effet : la hausse du prix des carburants et le nombre plus élevé de bateaux pour transporter les céréales : les 25 à 30 000 tonnes ont remplacé ceux de 90 000 tonnes. Cette hausse est renforcée par l’opacité du marché russe. « Moscou ne communique si sur le volume des échanges ni sur ses prix ». A ces facteurs, vient se greffer la parité euro/dollar. Ce dernier a gagné +20 % depuis juillet. Or le paiement des échanges internationaux s’effectue en dollar. Si l’euro devait encore reculer, les prix des céréales grimperaient d’autant.

Le Brésil à l’affût

A terme, dans certaines parties du monde, les éleveurs pourraient faire des arbitrages et « préférer des produits locaux comme le riz pour nourrir les animaux (volailles notamment) », a expliqué Arnaud Petit. « D’autant que cet aliment payé en monnaie locale, échappe à la spéculation du dollar », a-t-il ajouté. En tout état de cause, la guerre en Ukraine rebat les cartes de l’alimentation au plan mondial. L’émergence de nouveaux acteurs, plus offensifs sur le marché des céréales, est possible. L’Inde et surtout le Brésil sont bien positionnés. « Le Brésil ne cache pas ses ambitions de devenir un opérateur majeur sur le blé alimentaire. Il possède de potentiel de production nécessaire », a souligné Thomas Gomart. La nature ayant horreur du vide, il pourrait venir compenser une possible défaillance des agriculteurs ukrainiens. « Si le corridor maritime n’est pas reconduit, ce sera la ruine de l’agriculture ukrainienne », a prédit Arnaud Petit. « Car les banques arrêteront de financer les agriculteurs. Ils n’auront pas les moyens de financer leurs semis, d’acheter leurs engrais… », a-t-il ajouté. 

Christophe Soulard pour Actuagri

 

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