Confinons les clivages pour donner un avenir aux céréaliers

Avec le Covid-19, la France mesure pleinement le rôle géostratégique et humanitaire de sa filière agricole, réconciliant les Français avec leurs agriculteurs, en rappelant leur mission première : « nourrir les Hommes en France et dans le monde ».

Les céréales constituent la base de notre alimentation. En témoigne la consommation exponentielle actuelle, de farine, de pâtes et de riz. Cette filière dynamique, premier exportateur de l’UE, est un fleuron national avec une valeur ajoutée de plus de 17 milliards d’euros qui comptabilise 444 000 emplois.

Et pourtant, ironie du sort, depuis des années, elle est sous valorisée, avec un sentiment d’abattement et d’abandon qui s’est emparé de l’ensemble des producteurs agricoles. Les céréaliers ont un revenu moyen au plus bas depuis six ans, inférieur à un smic mensuel, tandis que les contraintes notamment sur les moyens de production n’ont cessé de croître dans un environnement d’agribashing inacceptable. Oui nous semons, nous nourrissons nos plantes et les soignons lorsqu’elles sont malades pour assurer la récolte prochaine. Certains oublient un peu vite le passé avec les disettes, les pénuries, les intoxications alimentaires…lorsque nous n’avions pas la capacité de produire dans de bonnes conditions.

Pour autant, l’heure ne doit pas être à l’apitoiement, mais à la prise de conscience pour préparer l’avenir. Il est urgent de sortir des débats politiciens trop souvent idéologiques pour mener une politique agricole de reconquête forte et cohérente pour toutes les agricultures. Profitons de cette période pour affirmer que la seule voie est celle d’un juste équilibre et non de l’excès.

Equilibre, dans le maintien d’une coexistence de plusieurs agricultures. Il est utopique, de croire, dans une logique de repli sur soi, que nous ne développerons en France qu’une seule agriculture bio, ou locale. La « montée en gamme » ne doit pas s’opposer à la nécessité de maintenir un accès à une alimentation de qualité à des prix accessibles pour tous. Plusieurs agricultures coexistent et sont légitimes. Nous ne pouvons pas non plus ignorer les attentes croissantes des pays structurellement importateurs face au défi démographique mondial.  Dans un monde ouvert, nous devons contribuer, à notre mesure, à l’équilibre alimentaire mondial au risque de voir se multiplier les crises alimentaires, l’instabilité politique et les phénomènes migratoires.

Equilibre, dans la conduite de la transition agroécologique. Il faut revenir aux fondements scientifiques et à l’innovation. Miser sur l’agronomie, le numérique, la robotique, les nouvelles biotechnologies, la génétique et le biocontrôle pour le développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement et compétitive. Arrêter d’interdire sans solution et choisir le pragmatisme plutôt que le dogmatisme pour faire évoluer les pratiques agricoles, telle doit être la ligne de conduite. Sortir des seuls objectifs quantitatifs de réduction d’intrants et du produire moins, pour aller vers l’appréciation des impacts et le produire « plus et mieux ».

Equilibre, dans l’accompagnement des agriculteurs. Toute évolution demande du temps et doit donc s’inscrire dans une trajectoire soutenable économiquement et techniquement. Pour ce faire, et continuer d’attirer les générations futures, il faut pouvoir offrir un revenu décent, améliorer la résilience économique, sanitaire et climatique, assurer les conditions de concurrence équitables sur le marché intérieur et vis-à-vis des pays tiers.

En parallèle, sur la base de ces principes directeurs, il est impératif que la France prépare avec l’ensemble des acteurs agricoles, citoyens et politiques, une PAC permettant de promouvoir une ambition forte pour son agriculture avec des choix budgétaires à la hauteur des engagements sociétaux.

En ce sens, la filière céréalière s’est d’ores et déjà engagée dans un processus ambitieux de certification environnementale, pour lequel elle demande une reconnaissance par les pouvoirs publics et dans la future PAC. Cet engagement des céréaliers permettra de mieux discuter avec nos homologues européens, et de valoriser auprès des consommateurs notre travail au service de produits sains, de qualité pour tous et respectant l’environnement.

Cette alliance entre une PAC environnementale et économique est un facteur décisif des prochaines années. Durant cette crise, les agriculteurs font preuve d’une solidarité forte et essentielle à la vie du pays. Lors de ses allocutions, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal » et a appelé à « reprendre le contrôle de la souveraineté alimentaire Française et Européenne ». Il est temps de joindre la parole aux actes.

Eric Thirouin, Président de l’AGPB

 

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