LA RESPONSABILITE DE LA PAC CONFIEE AUX ETATS MEMBRES

Note de synthèse mise à jour le 8 juin 2018

La Commission européenne a publié le 1er juin sa proposition législative pour la réforme de la PAC. Celle-ci va maintenant faire l’objet de négociations avec le Parlement Européen et le conseil des Ministres dans le cadre des trilogues. Dans ce projet proposé pour la période 2021-2027, le changement majeur par rapport à la PAC actuelle (2014-2020) est le renvoi aux Etats membres (EM) de l’essentiel des décisions sur la définition des normes et la répartition des soutiens publics, qu’on peut résumer par le terme « renationalisation de la PAC »..

 

1. Une architecture à deux piliers autour de plans stratégiques nationaux

Même si les 2 piliers existants sont maintenus, l’architecture de la future PAC subit un changement fondamental : les projets de textes de base européens sont beaucoup moins précis que les textes actuels au niveau des normes, mesures et types de soutiens, qui sont remplacés par des listes d’objectifs et d’indicateurs, et des catégories de mesures pour lesquelles presque tout, depuis la définition des agriculteurs et des hectares éligibles jusqu’au contenu des actions environnementales, sont laissés entièrement à l’appréciation des EM.

Si le contenu européen de la PAC est ainsi fortement allégé, les textes proposés imposent en revanche à chaque Etat membre, comme pour le 2nd pilier actuel (PDRR) mais de manière beaucoup plus détaillée, de préparer son programme national (ou ses programmes régionaux) PAC pluriannuels (pour 7 ans : 2021 à 2027), dans lesquels il détaillera ses choix de normes, mesures d’aide, conditions d’attribution et indicateurs de résultats quantifiés. Et la Commission aura pour rôle d’accepter ou de refuser ces programmes.

 

2. Les paiements directs, une boîte à outils sans aucun garde-fou

Le mille-feuille actuel des paiements directs (1er pilier) comprend, rappelons-le, 6 types de soutiens : l’aide découplée des base (DPB), le paiement vert, le paiement redistributif, les aides couplées, le paiement JA et les aides aux zones à contraintes naturelles (ce dernier non utilisé en France). Le futur mille-feuille n’en comprendrait plus que 5, financés à partir de l’enveloppe nationale (P1).

Conditionnalité renforcée: Le paiement vert disparait, et ses principes sont intégrés dans les BCAE (Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales). Par rapport à la PAC actuelle, le projet prévoit 4 nouvelles BCAE (rotation, surfaces écologiques non productives, maintien des prairies, usage d’un OAD de fertilisation) et une BCAE renforcée (couverture des sols dans les périodes sensibles).

Soutiens de base au revenu pour la durabilité (SBRD) obligatoires, sans plancher

  • Système de DPB, avec au choix valeur uniforme nationale ou par territoire ou sur base historique (2020)
  • Si base historique, convergence obligatoire en 2026 à au moins 75% de la moyenne, avec possibilité pour l’EM de limiter les baisses à 30% (ou plus)

Paiement redistributif complémentaire pour la durabilité obligatoire, non plafonné

  • Caractère obligatoire théorique car pas d’enveloppe minimale en % du P1
  • Montant/ha < moyenne des paiements directs

Paiements JA volontaires, non plafonnés, obligation de fait via une enveloppe minimale

Paiements couplés volontaires, plafonnés

  • Plafonnés à 10% du P1 (+2% pour les protéagineux), ce qui en France impliquerait une réduction par rapport au niveau actuel de 13% (+2%)
  • Secteurs qui « traversent des difficultés » sans condition de non augmentation de leur production

Eco-scheme volontaire, non plafonné

  • Nouveau paiement environnemental, activation et définition au choix de l’EM
  • Forfait découplé ou compensation surcoût/perte de revenu, au choix EM

Il s’agit d’une véritable rupture par rapport à la PAC d’aujourd’hui. Les EM jouiraient d'une liberté quasi-illimitée dans le choix des paiements, leurs définitions et leurs montants puisque, sur les 5 instruments, un seul voit son enveloppe budgétaire plafonnée et aucun n'a d'enveloppe minimale. Par exemple, rien n’empêche un EM de consacrer respectivement 49% et 49% de son P1 pour le paiement redistributif et l’Eco-scheme, pour ne garder qu’1% pour le paiement de base.

 

3. Des menaces sur les montants des paiements directs et les transferts possibles

Pour le 1er pilier français respectivement, les enveloppes en € courants sont de 7 148 M€ et 1 209 M€ chaque année entre 2021 et 2027 contre 7 437 M€ et 1 428 M€ en 2020, la dernière année de la PAC actuelle. La baisse en valeur courante est donc respectivement de -3,9% et -15,3% par rapport à 2020. Mais en valeur réelle (hypothèse d'inflation de 2% par an de la Commission), la baisse atteint -11,1% pour le 1er pilier français et -21,6% pour le 2nd. Des chiffres très proches, bien qu’un peu plus défavorables, des propositions de la Commission pour l’ensemble de l’Europe, respectivement -9,5% et -19,4%.

En plus des baisses budgétaires, trois dispositifs fonctionnent en ponctionnant les paiements directs.

La dégressivité entre 60 et 100 k€ par exploitation et le plafonnement au-dessus de 100 k€ deviennent obligatoires. Les coûts de la main d’œuvre (salaires et charges) salariée et familiale sont déductibles ;

Nouveauté, les EM peuvent, s’ils le souhaitent, ouvrir des programmes opérationnels sectoriels nationaux, et ceci au-delà des actuels secteurs de la vigne et des fruits et légumes, (qui sont déjà et resteraient dotés de leur propre enveloppe budgétaire). Ces programmes seraient gérés par les OP/AOP et cofinancés à 50% OP et 50% P1 dans la limite de 3% de l’enveloppe nationale P1 ;

Les possibilités de transferts du 1er vers le 2nd pilier explosent, la proportion maximale du P1 passant des 15% actuels à 15% (cas général) + 15% (en cas d’affectation a des MAEC) + 2% (en cas d’affectation aux aides à l’installation), soit un plafond total de 32% du P1 au lieu des 15% actuels. Une tentation pour les EM impécunieux, les sommes transférées restant exemptées de cofinancement national.

 

5.Développement rural : des taux de cofinancement modifiés

La panoplie des mesures du développement rural serait dans le projet de la Commission peu modifiée par rapport à la PAC actuelle. On peut relever :

  • Dans le cas général, un taux de cofinancement national minimum de 53%, contre 47% actuellement;
  • Sur l’ICHN, un cofinancement national > 30% sans aucun plafond et des contraintes allégées sur les EM, qui auraient toute liberté sur le zonage, les montants et les conditions ;
  • Sur les MAEC et l'agriculture biologique, un cofinancement national minimum en baisse de 25% (actuel) à 20% et une enveloppe plancher à 30% du P2 européen;
  • Des mesures de gestion des risques "obligatoires" (assurances et fonds mutuels) mais sans enveloppe minimale ni mention de la réserve de précaution.

Par rapport à l’actuelle PAC, on relève peu de changements sur les planchers des mesures en % de l’enveloppe P2 : 30% minimum pour les MAEC (hors ICHN), 5% minimum pour l’approche Leader, et aucun plancher pour la gestion des risques ni plafond pour l’ICHN.

Au cours des négociations entre les trois institutions européennes qui s’annoncent longues et complexes, ce règlement sur la PAC connaitra sans doute des modifications. Mais il annonce une nouvelle subsidiarité lourde de menaces sur les contraintes de production et les soutiens des producteurs de grandes cultures français. Donc sur leur compétitivité future. Des actions syndicales seront nécessaires pour contenir cette évolution et limiter ses effets négatifs.

Nicolas Ferenczi, nferenczi@agpb.fr

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