Néonicotinoïdes : les céréaliers demandent aux sénateurs de ne pas suivre les députés sur la voie de l’interdiction

Le projet de loi « Biodiversité » revient en seconde lecture au Sénat où il sera examiné en Commission à partir du 2 mai puis en séance plénière à partir du 12. Les sénateurs auront à cette occasion à se prononcer sur l’interdiction des néonicotinoïdes votée le 18 mars dernier à l’Assemblée Nationale. Les néonicotinoïdes sont une famille de molécules qui entrent dans la composition de certains produits phytosanitaires.

Les producteurs français de blé, orge et autres céréales à paille demandent aux sénateurs de ne pas suivre la position des députés, mais de revenir au texte qu’ils avaient adopté en 1ère lecture, selon lequel le ministre de l’Agriculture devait définir « les conditions d’utilisation des produits phytosanitaires contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ».

En cela, ils font leur les arguments qu’avaient invoqués le ministre lui-même contre l’interdiction quand, avant le vote à l’Assemblée, il avait écrit aux députés pour les mettre en garde contre les effets négatifs d’une telle mesure, tant pour les insectes pollinisateurs et la protection de l’environnement que pour l’économie des exploitations (en annexes, lettre du ministre de l’Agriculture du 11/03/2016 et note technique du ministère du 12/03/2016).

L'UTILISATION DES NEONICOTINOIDES EN CEREALES A PAILLE ET SES ENJEUX

Sur les quelque 7 millions d’hectares (70 000 km2) de blé et d’orge cultivés en France, 30 %, soit 2,1 Mha sont ensemencés en grains enrobés de produits contenant l’une des molécules de la famille des néonicotinoïdes, l’imidaclopride.

Cet usage de néonicotinoïdes permet aux agriculteurs de lutter efficacement, d’une part contre les ravageurs aériens vecteurs de viroses (notamment, les pucerons vecteurs de la jaunisse nanisante de l’orge et du blé et la cicadelle, insecte vecteur de la maladie du pied chétif), d’autre part contre les ravageurs présents dans le sol (larves).

Les pertes de rendement ainsi évitées s’élèvent en moyenne pour la jaunisse nanisante à 2,5 tonnes/hectare sur l’orge (plus de 30 %)  et à 1,6 tonne sur le blé (21%). L’intérêt de l’enrobage de semences est également élevé dans la lutte contre les cicadelles et la maladie des pieds chétifs.

 

 

Micro-parcelle de blé atteinte de jaunisse nanisante sur site expérimental

Il est certes possible de lutter également contre ces maladies -mais pas contre les larves dans le sol- en pulvérisant des insecticides foliaires sur les cultures lorsqu’elles sont en végétation. Mais la mise en œuvre est plus compliquée et les résultats plus aléatoires. Par ailleurs, plusieurs interventions successives sont nécessaires quand les conditions climatiques restent favorables aux insectes, ce qui ne va pas dans le sens de la réduction d’utilisation des produits phytosanitaires.

Economiquement, une interdiction en France des néonicotinoïdes ne peut donc que pénaliser les producteurs de céréales français par rapport à leurs concurrents européens et internationaux, non soumis quant à eux à pareille mesure. Elle est également de nature à atteindre d’autres acteurs des filières blés et orge, dont l’activité  dépend des gisements que représentent les cultures de ces deux céréales : par exemple, ceux de l’exportation de blé, pour laquelle la France se place au 2ème rang mondial, ceux de l’exportation de malt, pour laquelle elle est 1ère, ceux de la production de semences, dans laquelle elle est la 1ère en Europe, et ceux de la Chimie du Végétal.

 

L'ETAT DU DOSSIER DES NEONICOTINOIDES A L'ANSES ET A L'EFSA

ANSES Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

EFSA Agence européenne de sécurité de l’alimentation

En mai 2013, après évaluation l’EFSA, la Commission européenne a adopté un moratoire quant à l’utilisation de trois molécules, dont l’imaclopride, pour certaines cultures et certains usages. Les cultures de céréales de blé et d’orge -dans lesquelles les abeilles  ne viennent pas butiner, il convient de le rappeler- n’étaient pas concernées par ces restrictions. Comme prescrit alors par la Commission européenne, l’EFSA procède depuis le printemps 2015 à une nouvelle évaluation des risques d’utilisation des trois molécules, sur la base de données publiées depuis 2013. Dans l’attente de la finalisation de son avis, elle maintient ses recommandations de 2013, ne préconisant aucune restriction supplémentaire d’usage.

En France, les ministres de l’Agriculture, de l’Ecologie et de la Santé ont saisi l’ANSES en juin 2015  d’une demande de rapport sur les risques présentés par les molécules de la famille des néonocotinoïdes. Dans ses recommandations publiées le 7 janvier 2016, l’ANSES a préconisé des mesures de gestion complémentaires pour des utilisations demeurées possibles des trois molécules. Elle n'a absolument pas proposé d’extension du moratoire en vigueur.

Deux autres molécules de la famille des néonicotinoïdes actuellement commercialisées n’ont pas fait l’objet de mesures de restriction en 2013. Comme le veut la règle commune à toutes les substances actives de produits phytosanitaires, elles sont soumises à une procédure de réévaluation périodique par l’EFSA. Au terme de cette réévaluation, leur autorisation de mise en marché sera renouvelée ou non. L’échéance est 2017 pour l’une et 2019 pour l’autre.