Les prix des engrais azotés sont en forte hausse depuis le début de l’année en France et en Europe. Cette hausse apparaît plus forte que dans le reste du monde, à cause des barrières qui protègent le marché européen où les agriculteurs payent leur azote plus cher qu’ailleurs. Ce surcoût aggrave les distorsions de concurrence subies par les producteurs de grandes cultures, dont les revenus sont en forte baisse depuis 2013.
Les prix des engrais azotés sont en forte hausse en France. En février 2021, le prix de l’ammonitrate 33,5 vrac franco au stade du gros (prix d’achat par les distributeurs, coopératives et négoces) s’établissait autour de 312 €/tonne, en hausse de 30% par rapport aux 240 €/t relevés un an plus tôt. Par rapport aux niveaux de février 2020, la hausse était encore plus forte en urée (346 €/t soit +36%) et en solution azotée (UAN départ Rouen : 214 €/t soit +41%). Cette augmentation, qui concerne toutes les formes d’azote, a continué au mois de mars, où la solution azotée en France était cotée au-dessus de 240 €/t (voir tableau 1).
On peut également remarquer que la hausse constatée en France est générale en Europe. En Allemagne par exemple, l’ammonitrate moyen dosage (CAN) et la solution azotée ont augmenté dans les mêmes proportions qu’en France. En revanche, si l’on regarde de l’autre côté de l’Atlantique, la situation apparaît bien différente. Ainsi, aux Etats-Unis, la solution azotée libellée en dollars au stade du détail (agriculteurs) s’est renchérie de +4% entre février 2020 et février 2021, et l’urée de +27%. Exprimés en euros, les prix américains ont même légèrement baissé en solution azotée (-5%) alors qu’ils n’augmentaient que de +15% pour l’urée (voir tableau 1). Et comme en Europe, la hausse a continué aux USA tout au long du mois de mars.
Alors pourquoi cette hausse et pourquoi une ampleur si différente entre l’Europe les USA ?
Les producteurs d’engrais incriminent le gaz naturel, qui représente le principal poste de coût dans la fabrication des engrais azotés et dont les prix ont nettement augmenté depuis un an, dans le sillage des prix du pétrole. On peut également constater que cette explosion des prix de l’azote coïncide avec une hausse des cours mondiaux des grains, nettement supérieurs à leurs niveaux de l’an dernier, particulièrement en maïs et oléagineux. Les fournisseurs d’engrais profiteraient-ils de la hausse présumée du pouvoir d’achat de leurs clients pour imposer des hausses de prix « opportunistes » ? Si ces facteurs peuvent influer, les prix des engrais sont avant tout déterminés par l’équilibre entre l’offre et la demande. Et c’est l’isolement du marché européen qui explique sans doute la hausse particulièrement forte constatée chez nous.
En effet, le marché européen de l’azote est protégé du marché mondial par des barrières tarifaires à l’importation constituées par des droits de douanes nominaux de 6,5% auxquels s’ajoutent, pour l’ammonitrate et la solution azotée, des taxes anti-dumping. En conséquence, la concurrence est insuffisante sur le marché intérieur de l’azote, où l'industrie est très concentrée et où les prix sont systématiquement plus élevés que sur le marché mondial, le différentiel variant entre 40 et 70 €/tonne selon les produits et les périodes. Cette « prime » payée par les agriculteurs aux fabricants d’engrais européens, a été évaluée à environ 1,6 milliard d’euros par an (voir tableau 2).
Les conséquences de la facture
La facture est principalement financée par les producteurs européens de grains. En effet, les agriculteurs spécialisés en grandes cultures et les polyculteurs-éleveurs consomment les deux tiers des volumes d’azote minéral commercialisés chaque année en Europe (source: RICA européen 2017). Comme ces mêmes producteurs vendent leurs grains sur un marché européen ouvert et à un prix proche du prix mondial, cette inéquité aggrave les distorsions de concurrence avec les producteurs concurrents, notamment russes, ukrainiens, nord-américains, brésiliens, argentins etc., qui ont accès aux engrais azotés au prix mondial.
L’impact de cette anomalie peut s’analyser dans l’évolution depuis 2006 des coûts de production du blé français (voir graphiques 3 et 4). Au cours des 14 dernières années, la part de l’azote est passée de 8% à 11% du coût complet et de 25% à 32% du coût des intrants du blé, alors que la part des autres engrais régressait de 4% à 2% du coût complet et de 12% à 7% du coût des intrants. Pour l’azote, ce poids croissant dans les coûts s’explique entièrement par la hausse relative des prix puisque, dans le même temps, les quantités d’azote mises en œuvre ont baissé régulièrement (voir graphique 5). Pour la fertilisation phosphatée et potassique au contraire, cette baisse des coûts est avant tout la conséquence des importantes réductions de doses (impasses : voir graphique 5) opérées par les agriculteurs pour réduire leurs coûts et contrebalancer le renchérissement de l’azote.
Ce fardeau croissant de la fertilisation pénalise particulièrement les producteurs français spécialisés en céréales et oléo-protéagineux, comme le montre l’analyse de leurs résultats comptables moyens depuis 2006 (voir graphique 6). Les coûts de fertilisation, en hausse régulière, impactent de plein fouet le revenu agricole, en forte baisse tendancielle depuis 2013 dans un contexte de volatilité croissante liée aux prix des grains et à l’effet du changement climatique sur les rendements.