La Commission européenne vient d’activer les droits de douane à l’importation du maïs. C’est l’occasion de revenir sur ce qui reste des mécanismes douaniers qui protègent – très incomplètement – le marché céréalier européen.
Pour la première fois depuis 2017, la Commission européenne vient de réintroduire un droit de douane à l’importation dans l’UE pour le maïs, ainsi que le sorgho et le seigle. C’est l’occasion de faire le point sur les mécanismes de protection douanière du marché des céréales aux frontières de l’Europe.
Depuis 1994 et l’accord du GATT de Marrakech qui a profondément réformé l’Organisation commune des marchés (OCM) en Europe, les droits de douane à l’importation des céréales sont régis par un double système (voir schéma) :
- Le blé tendre et l’orge, céréales pour lesquelles l’Europe est largement exportatrice nette, bénéficient de droits de douane dissuasifs (93-95 €/t), mais l’UE a consenti de très larges contingents (4,3 Mt de blé et 1,4 Mt d’orge) d’importations à droits faibles ou nuls selon les origines. Le triticale, l’avoine et le riz rentrent dans la même catégorie.
- Les autres céréales, dont le maïs, le blé dur et le blé tendre améliorant, dont l’Europe est importatrice nette, ont gardé, comme avant 1994, un droit de douane variable en fonction du prix du marché. Habituellement, c’est-à-dire quand le prix du marché mondial n’est pas trop bas, ce droit à l’importation est mis à zéro. Mais quand le prix mondial passe en-dessous de 157 €/t, la Commission européenne rétablit des droits de douane variables calculés comme la différence entre 157 €/t et le prix du marché. Il s’agit donc d’un seuil, un prix minimum à l’importation. Mais ce seuil comporte également des « trous », car l’UE a accordé pour le maïs 4,7 Mt de contingents à droit faible ou nul, dont 2,5 Mt de toutes origines vers l’Espagne et le Portugal, et 2 Mt d’Ukraine vers l’UE.
Le calcul de ces droits variables est complexe (voir détails du calcul), car il fait intervenir non pas le prix de marché des importations européennes mais le prix de marché des exportations américaines au départ de Chicago vers Rotterdam via les ports du golfe du Mexique au cours des 10 derniers jours ouvrables.
Depuis la crise du COVID-19, si les prix du maïs sont restés stables en Europe (168 €/t rendu Bordeaux), ils ont fortement chuté aux Etats-Unis (de 152 à 131 €/t FOB golfe du Mexique entre le 12 mars et le 28 avril), pays où le bioéthanol représente habituellement un tiers des débouchés, à cause de l’effondrement des prix du pétrole donc des carburants. De plus, les coûts du fret fluvial et maritime, qui interviennent dans le calcul des droits de douane européens, sont eux aussi au plus bas. C’est ce qui explique que, la semaine dernière, les droits de douane européens sur le maïs, le sorgho et le seigle ont été activés à 5,27 €/t le 27 avril, puis relevés 10,40 €/tonne le 5 mai.
Cette activation des droits à l’importation permettra peut-être de stabiliser les prix des céréales en Europe. C’est évidemment une bonne nouvelle pour les producteurs de céréales. Mais elle ne doit pas faire oublier qu’à travers les réformes successives de la PAC et l’accumulation des accords bilatéraux de libre-échange conclus par l’UE, la protection douanière du marché européen des céréales a été fortement dégradée au cours des 25 dernières années. Les contingents à droit nul et le faible niveau de déclenchement des droits variables sont des « trous dans la raquette » qui ont transformé l’ancienne protection douanière, d’une barrière protectrice en un simple filet de sécurité. En réalité, pour la plupart des céréales, les prix intérieurs européens sont en général alignés sur les prix mondiaux.
Dans ce marché européen ouvert, nos producteurs n’ont d’autre choix que rester compétitifs dans un combat à armes inégales, puisque leurs coûts de production sont grevés par des contraintes (coûts du travail, prix du foncier, règlementations environnementales) beaucoup plus fortes que leurs concurrents russes ou ukrainiens. Cette ouverture au grand large permet également à l’Europe, et singulièrement à la France, d’exporter ses céréales sur les marchés internationaux et de participer ainsi à la sécurité alimentaire mondiale, une contribution reconnue et précieuse en cette période de crise sanitaire et économique globale.