Le 27 juin 2018, les Chambres d’agriculture et l’Association française des journalistes agricoles organisaient un débat sur la future PAC. La première table ronde, consacrée aux revenus agricoles, a permis à plusieurs intervenants de confronter leurs réactions face à la proposition législative de la Commission européenne du 1er juin. Elle réunissait Pierre Bascou de la Commission européenne, un des « pères » de la réforme, Ulrike Müller, députée européenne, Christophe Hillairet, président de la Chambre d’agriculture d’Ile-de-France, Pekka Pesonen, secrétaire général du Copa-Cogeca et Luc Vernet, co-fondateur de Farm Europe.
La vision de la Commission
Pour Pierre Bascou, personne ne comprend plus la PAC actuelle qui est clairement inefficace, puisqu’elle a un objectif et des indicateurs de revenus depuis 50 ans qui montrent que les revenus diminuent. L’objectif principal de la proposition est donc de sécuriser le revenu agricole à court terme, en consolidant des aides directes plus simples et plus ciblées sur les exploitations familiales et professionnelles, et à long terme en soutenant les investissements, la gestion des risques et la restructuration des filières (d’où les programmes opérationnels). In fine, le soutien public n’est pas là pour faire le revenu agricole mais pour aider l’agriculteur à devenir compétitif. L’objectif est que le producteur n’ait plus besoin d’aide, ce qui sera possible si l’agriculture investit et si l’action publique est concentrée sur ce qui est fondamental : un rééquilibrage de la valeur ajoutée dans la chaîne alimentaire et une bonne gestion de la volatilité des marchés.
Le budget
Pour lui, le budget proposé, en baisse de 5% en valeur courante (et on raisonne depuis toujours en valeur courante) résulte de contraintes politiques qu’il faut accepter et relativiser. Même avec -5%, l’Europe a la chance de pouvoir financer l’essentiel, c'est-à-dire l’investissement dans la transition vers la compétitivité et la durabilité. Il faudra que la PAC soit plus efficiente et que l’agriculture puisse aussi bénéficier d’autres politiques européennes (recherche, formation, immigration…). Pour Luc Vernet au contraire, la chute budgétaire proposée est d’autant plus inquiétante qu’elle est de -12% en valeur constante, que les paiements directs représentent 46% du revenu, et que, en plus de la baisse budgétaire, les revenus devraient diminuer de -5% à -10% supplémentaires de l’aveu même de la Commission. Pour Pekka Pesonen, la diminution budgétaire est d’autant plus inacceptable que, en parallèle, les revenus vont subir des pressions supplémentaires à la fois à cause de la demande sociale donc des coûts en hausse et des nouveaux accords commerciaux européens donc des prix en baisse. Christophe Hillairet souligne que la baisse budgétaire n’est pas inévitable, puisque les deux prétextes sous-jacents sont contestables : comme avec la Norvège, le Brexit doit pouvoir conduire à un accord de libre échange avec le Royaume Uni qui paierait une contribution qui peut même être supérieure à l’actuelle. Quant à la concurrence des autres politiques, il n’y a pas d’ambition politique sans ambition budgétaire.
La gouvernance et le caractère commun de la PAC
Le cœur du débat a été consacré à la nouvelle gouvernance proposée par la Commission et aux conséquences de la subsidiarité accrue. Pour Pierre Bascou, qui a « passé des années à négocier la taille de la canopée des arbres », il s’agit simplement de transférer aux Etats membres ce qui, vu la diversité européenne, ne peut se définir qu’au niveau national, la commission se concentrant sur les grands objectifs, les grandes masses et les allocations. Il convient cependant aussi que « la nécessité d’une décision unanime à 27 est une des raisons de la proposition ». Ulricke Müller à ce propos trouve la subsidiarité nécessaire et se déclare en même temps « très inquiète du risque de renationalisation ». Pour Pekka Pesonen , la proposition détruirait le caractère commun de la PAC car les Etats membres feront des choix diamétralement opposés entre ceux qui veulent défendre l’agriculture mais n’ont pas d’argent et ceux qui sont riches mais ne veulent pas la soutenir. Une crainte partagée par Christophe Hillairet, avec 27 politiques agricoles nationales. Pour ne prendre que l’exemple de la conditionnalité, la transformation du verdissement en BCAE à la totale liberté des Etats membres pourrait aboutir à de fortes distorsions. De même pour la définition du « véritable agriculteur », qui pourra être un non professionnel dans certains pays, et pour les paiements spécifiques, comme la prime redistributive où l’Etat membre aurait toute latitude, par exemple sur le nombre d’hectares. Pour Pierre Bascou cependant, le caractère commun à préserver, c’est celui des objectifs et des mesures proposées, pas des moindres détails ni celui des montants alloués ».
Les mesures et leur plafonnement
Pour Pekka Pesonen, le paiement direct découplé (DPB et verdissement) est l’outil le plus efficace à la fois pour assurer une aide au revenu et pour limiter les effets de la volatilité, en raison de son caractère commun, homogène et prévisible. Il représente une certitude qui donne au producteur de la visibilité. Les autres mesures sont financées au dépend de l’enveloppe des DPB et elles sont logiquement plafonnées pour garantir un DPB significatif et limiter les distorsions entre Etats membres. Or, à la demande de certains Etats membres dont la France qui veut plus de « marges de manœuvre » sur les paiements directs, la proposition de la Commission sur la future PAC a fait disparaître la plupart des limites aux allocations de ressources. Ainsi, les enveloppes allouables à l’Ecoscheme comme au paiement redistributif ne sont pas limitées. C’est un des aspects inacceptables de la proposition, car il signifierait l’abandon d’une PAC commune et la perte de toute visibilité pour les agriculteurs.
Un point de vue partagé par Luc Vernet, qui ajoute qu'il faut non seulement faire barrage à cette renationalisation, mais aussi souligner ce que nous attendons de la future PAC : des mesures communes et une meilleure gestion des risques et des crises. Sur les mesures, nous attendons non pas des normes nationales comme la super-conditionnalité proposée mais des mesures communes comme celles du verdissement, avec une ouverture sur des mesures équivalentes. Sur les risques, la Commission propose une « obligation » purement théorique car sans enveloppe minimale. Quant aux crises, la réforme de la réserve de 400 M€ va dans le bon sens mais son montant reste très insuffisant. Christophe Hillairet porte le même diagnostic et mentionne qu’une des rares propositions intéressantes est la mesure à 3% sur les nouveaux programmes opérationnels.
Nicolas Ferenczi, nferenczi@agpb.fr