La Commission européenne (CE) a publié le 2 mai 2018 sa proposition législative de prochain cadre financier pluriannuel (CFP) pour une période de 7 ans de 2021 à 2027. Cette note est consacrée à un seul sujet, l'évolution proposée des dépenses de la PAC. Rappelons d'abord que la publication d'hier n'est qu'une proposition, c'est-à-dire le point de départ d'un long processus législatif en trilogue, qui dure en général 2 ans, au cours duquel la CE, le Parlement européen et le Conseil européen seront amenés à négocier et amender le texte, avant une décision finale qui est du ressort du seul Conseil, c’est-à-dire des (bientôt) 27 Etats membres statuant à la majorité qualifiée.
Précisons ensuite que, s’agissant de la PAC comme des autres politiques, les CFP ne ventilent pas les dépenses en fonction des Etats membres auxquels elles seront allouées. Pour connaître cette ventilation, il faudra attendre les propositions législatives sur la PAC, attendues dans quelques semaines. Impossible donc à ce stade de parler de l’évolution des budgets PAC pour la France.
Une véritable cacophonie se dégage des chiffres d'évolution mentionnés depuis le 2 mai dans les différents commentaires. Ces divergences sont compréhensibles, vu la complexité du sujet. On peut citer les trois sources principales de complications.
1. L'inflation
S'agissant d'évolutions budgétaires sur 14 ans, l'inflation est significative : parle-t-on de budgets en valeur courante (les chiffres d'évolution sont alors faussés) ou en valeur constante (oui mais alors avec quelles hypothèses d'inflation, ceux de la CE ou faut-il les critiquer ?).
2. Le périmètre géographique
Si l'on compare les budgets officiels à l'état brut, on compare des budgets pour 2 Europe différentes : celle actuelle à 28 pour le CFP 2014-2020 et la future, celle à 27 après le Brexit pour le CFP 2021-2027. Or le Brexit, s'il explique pour partie la baisse du futur budget du côté des ressources, à cause de la disparition de la contribution britannique, se traduira aussi par une baisse « normale » des dépenses de la PAC donc parfaitement indolore pour les 27 autres pays, car le Brexit "économise" aussi les dépenses auparavant distribuées au Royaume-Uni. Pour avoir une idée de ce qui arrive aux 27, il faut donc comparer les 2 CFP « à périmètre géographique comparable », c’est-à-dire en retraitant le CFP 2014-2020 par soustraction des allocations au Royaume-Uni, exactement comme une entreprise qui aurait vendu une activité. Mais ce retraitement est complexe et demande un travail supplémentaire.
3. Le périmètre budgétaire
Pour des raisons politiques, la CE, d'un CFP à l'autre, fait systématiquement varier le périmètre général de son budget ainsi que le contenu des grandes rubriques. D'une part certains fonds peuvent être intégrés dans le budget général dans un CFP et devenir extra-budgétaires dans le suivant, et inversement. Et d'autre part, la PAC, pourtant un gros morceau, n'est jamais une tête de chapitre mais toujours intégrée dans une rubrique plus large qui comprend aussi la pêche ainsi que certaines dépenses liées à l'environnement. Ainsi, en 2014-2020, la PAC fait partie de la rubrique "2. Croissance durable : ressources naturelles" alors qu'en 2021-2027, elle est dans la rubrique "3. Ressources naturelles et environnement", au contenu légèrement différent.
Enfin, les commentateurs omettent en général de préciser que toutes les comparaisons entre les dépenses des deux CFP portent sur des budgets prévisionnels d’autorisations d’engagement. Il ne s’agit donc pas d’autorisations de paiement (toujours plus faibles) et encore moins, s’agissant du passé (CFP 2014-2020), de dépenses réelles comme aurait pu le faire une entreprise.
Après ce préambule long mais important, voici les chiffres à retenir.
Si l’on compare les budgets en valeur courante mais à périmètre géographique constant, c’est-à-dire pour l’UE à 27 (hors dépenses de la PAC au Royaume-Uni en 2014-2020), la proposition de la Commission revient à une baisse relativement faible entre l'actuel et le nouveau CFP : – 15,8 milliards d’euros sur 7 ans pour la PAC dont – 4,3 milliards pour le 1er pilier. En moyenne annuelle, ceci équivaut à – 2,3 milliards d’euros pour la PAC (–4,2%) dont – 0,6 milliards d’euros pour le 1er pilier (–1,5%).
Ces faibles baisses masquent cependant l’effet de l’inflation. En valeur réelle (euros de 2018), et toujours en comparant les budgets à périmètre géographique constant (UE à 27 entre 2014-2020 et 2021-2027), la proposition de la Commission équivaut à une baisse importante, et en fait beaucoup plus forte qu’en raisonnant en valeur courante et sans soustraction des dépenses britanniques. Entre la totalité des deux CFP, la baisse est de – 64,4 milliards d’euros sur 7 ans pour la PAC dont – 42,2 milliards d’euros pour le 1er pilier. En moyenne annuelle, ceci revient à – 9,2 milliards d’euros pour la PAC (–19,0%) dont – 6,0 milliards d’euros pour le 1er pilier (–14,2%). Mais ces chiffres peuvent paraître exagérés car ils comparent le nouveau CFP à la totalité (ou l’année moyenne) de l’ancien.
Il semble plus réaliste de prendre pour base de comparaison la seule année 2020 dont le budget en euros constants est plus faible que la moyenne 2014-2020 (d’environ 5%). En effet, l’ancien budget, comme le nouveau, sont en valeur réelle en baisse légère mais régulière d’une année à l’autre au cours des 7 ans. C'est la conclusion la plus significative : Par rapport à 2020, la dernière année de la PAC actuelle, compte tenu de la baisse des besoins liée au Brexit et en euros constants de 2018, la baisse réelle en moyenne annuelle proposée pour la PAC par la Commission européenne est de – 6,2 milliards d’euros (–11,8%) dont –3,8 milliards pour le 1er pilier (–9,5%).
Sur l’ensemble de la période 2021-2027, les 324 milliards d’euros 2018 proposés pour la future PAC représentent donc par rapport à 2020 un manque de -43 milliards dont -27 pour le 1er pilier et -17 pour le 2nd pilier.
A cette baisse pourrait s’ajouter, pour les 1ers piliers nationaux, une autre baisse de 10% pendant les premières années au titre d’une « réserve de performance » débloquée sous conditions de résultats définis dans les plans stratégiques nationaux. En termes budgétaires aussi, la subsidiarité renforcée est un piège. La confrontation des chiffres PAC et 1er pilier permet par ailleurs de mettre en évidence un nouvel artifice politique de la Commission : le budget de la PAC baisse proportionnellement plus que celui du 1er pilier car la baisse du 2nd pilier est encore plus forte. Mais il ne s’agit que de la part européenne et la Commission prévoirait en fait, dans la prochaine PAC, une quasi stabilité des budgets P2 obtenue par une forte augmentation des cofinancements nationaux.
Contact: Nicolas Ferenczi, AGPB