La Commission a l'intention d'imposer des taxes antidumping
A la demande de trois fabricants d’engrais situés en Pologne, en Lituanie et en Espagne, la Commission européenne a ouvert le 13 août dernier une enquête antidumping sur les importations de solution azotée en provenance de Russie, de Trinité-et-Tobago et des Etats-Unis.
Les services de la Commission européenne viennent de notifier aux parties prenantes, dont fait partie l'AGPB, leur intention d’imposer des mesures antidumping provisoires sur les importations de solution azotée. Ces mesures prendraient la forme de taxes sur les importations de solution azotée en provenance des trois pays visés, leur montant variant de 16 à 39% des prix CIF selon les origines.
Ces mesures pourraient être soumises au vote des Etats membres le 27 mars à Bruxelles lors du prochain Comité des instruments de défense commerciale. Si une majorité qualifiée d’Etats membres ne s’y oppose pas, ces droits provisoires seront mis en place immédiatement.
Manifestement, la Commission considère qu’il existe un dumping et des dommages causés aux industriels plaignants, mais ces mesures provisoires ne prennent pas en compte l'intérêt des agriculteurs ni celui de l'économie européenne dans son ensemble. Elles ne préjugent pas d’une future décision définitive, retrait ou maintien des taxes antidumping, qui interviendra d’ici octobre après évaluation de « l’intérêt de l’Union » donc du préjudice causé par ces mesures aux agriculteurs européens.
Un poste de coût critique
La fertilisation azotée est un poste de coût critique pour les agriculteurs et son poids ne fait qu’augmenter. A la différence des produits agricoles et des autres intrants agricoles, le coût de l’azote a augmenté de plus de 50% sur les 12 dernières années, pour représenter actuellement environ 30% des coûts variables totaux du blé en France.
Dans un marché ouvert, les producteurs français de grandes cultures vendent leurs produits aux prix du marché mondial, et notamment les céréales. En revanche, le marché européen des engrais azotés (ammonitrate, solution azotée, urée), est protégé par des droits de douanes et dominé par un nombre limité d’opérateurs. Les prix y sont donc supérieurs aux prix internationaux, . Cet effet de ciseaux sur les prix met en danger la compétitivité de notre agriculture face à ses principaux concurrents, souvent russes et américains, qui ont accès à des fertilisants moins chers. Ce surcoût a été évalué à un milliard d’euros par an, déjà supporté par les agriculteurs européens.
220 M€ de charges supplémentaires
Si les mesures antidumping provisoires sont votées le 27 mars, elles feront très fortement augmenter les prix payés par les agriculteurs français et européens pour leurs engrais azotés.
Depuis l'ouverture de l'enquête en août dernier, les agriculteurs payent déjà une "prime" forcée pour la solution azotée par rapport à l'urée, à cause des tensions sur le marché. D'après nos estimations et en prenant en compte cette "prime", les producteurs français de grandes cultures auraient à supporter 220 M€ de coûts supplémentaires chaque année si ces taxes antidumping étaient mises en place, c'est-à-dire 1,1 milliard d'euros sur 5 ans, durée habituelle pour ce type de mesures. Et ceci pour la seule solution azotée, sans prendre en compte l'effet de contagion probable sur les prix de l'ammonitrate.
L’impact négatif sur l’agriculture qu’auraient les mesures antidumping proposées dépasse de loin leur effet bénéfique sur les fabricants de solution azotée est-européens, dont les problèmes de compétitivité sont liés à une absence d’investissements et à leur situation excentrée par rapport aux matières premières et à la demande agricole.
C'est l'argument de bon sens que l'AGPB, aux côtés du Copa-Cogeca et d'organisations agricoles de nombreux pays d'Europe, a porté auprès de la Commission européenne et des autorités nationales depuis le mois d'août 2018.
Un appel aux autorités françaises
L’AGPB a rencontré vendredi 15 mars les représentants de la DG Trésor et de la DG Entreprises, qui représentent la France au Comité des instruments de défense commerciale de l’UE, pour présenter la situation et demander que la France s’oppose à la procédure antidumping en cours sur les importations de solution azotée.
Et cette semaine, les agriculteurs français, représentés par l'AGPB, l'AGPM, la CGB, la FOP et la FNSEA, se sont adressées au ministre de l'Economie et des finances Bruno Le Maire pour lui demander que la France, le 27 mars, vote contre la mise en place des taxes antidumping.
Nicolas Ferenczi
nferenczi@agpb.fr