L’Afrique, même si elle est moins touchée par la pandémie que d’autres continents, subit un confinement qui menace son économie et près de la moitié de ses emplois. Sa sécurité alimentaire dépend des importations de céréales, elles-mêmes impactées par l’ampleur de la dette publique, le cours de devises et le niveau des prix qui incitent pour l’instant à l’attentisme.
Après avoir été épargnée dans un premier temps, l’Afrique est dorénavant concernée par la pandémie du Covid-19. Mais elle reste l’un des continents les moins touchés avec 33 378 cas de coronavirus et 1 471 morts officiellement recensés au 28 avril. Les pays les plus touchés sont l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Maroc et l’Algérie avec respectivement 4 793, 4 782, 4 246 et 3 517 cas à cette même date.
Source: Le Monde Afrique, 24/04/2020
LES MESURES SANITAIRES
Des mesures plus ou moins fortes ont été prises par les Etats africains au cours du mois de mars. De manière générale, les écoles et les lieux de culte sont fermés et les rassemblements sont interdits. Le Sénégal, le Maroc, le Kenya, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Niger, le Congo, la République Démocratique du Congo et l’Ethiopie sont passés en état d’urgence. Des pays ont imposé des couvre-feux, comme le Togo, la Tunisie, le Sénégal ou encore la Mauritanie. L’Afrique du Sud, pays le plus touché, a imposé un confinement national depuis le 26 mars. C’est également le cas au Maroc (20 mars), au Rwanda (22 mars), en Tunisie (22 mars), au Zimbabwe (30 mars), au Congo-Brazzaville (31 mars) et à l’Île Maurice (31 mars). D’autres pays ont mis en place des confinements ciblés sur les principaux foyers : Nairobi et Mombasa au Kenya (6 avril), le Grand Accra et le Grand Kumasi au Ghana (30 mars), Kinshasa en RDC (6 avril), Abuja et Lagos au Nigéria (30 mars), Blida en Algérie, Antananarivo et Toamasina à Madagascar. Ces mesures de confinement et de couvre-feu sont difficiles à faire respecter dans des pays où la majeure partie de la population active vit de l’informel avec un rythme de travail journalier, c’est-à-dire qu’elle sort travailler le matin pour nourrir sa famille le soir. Des Etats utilisent la menace de l’emprisonnement ou de l’amende, comme le Sénégal par exemple où la peine peut aller jusqu’à une amende de 760 euros ou deux ans d’emprisonnement. Il semble également que certaines polices locales utilisent la force pour faire respecter ces mesures, c’est notamment ce qui a été rapporté à Ouagadougou, Abidjan et Dakar.
La majorité des États africains ont fermé leurs frontières terrestres, maritimes et aériennes aux transports de passagers. En revanche, les échanges maritimes de marchandises sont maintenus avec des mesures de sécurité obligatoires, qui diffèrent suivant les pays. Pour la plupart, un décompte de 14 jours est obligatoire entre le départ du précédent port et l’accostage à destination, si le navire provient d’un pays contaminé. Ce délai est systématique, quel que soit la provenance, pour pouvoir accoster au Soudan. Le Gabon impose des règles plus strictes avec une mise en quarantaine des navires pendant 14 jours à partir de l’entrée en rade s’ils viennent de pays contaminés. Enfin, le Cameroun met en quarantaine pendant 14 jours tous les navires, toutes origines confondues, à la bouée de base située à 25 km du quai. Les équipages ne sont nulle part autorisés à débarquer. Enfin, nombre d’États ont pris des mesures de désinfection systématique des navires en rade avant déchargement.
CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES
Une grande partie des secteurs d’activités sont, ou vont prochainement, être à l’arrêt. L’Union Africaine estime que la crise sanitaire menacerait 20 millions d’emplois, ce qui parait peu à l’échelle du continent ; mais le Programme des Nations-Unies pour le développement est beaucoup plus pessimiste avec près de la moitié des emplois en Afrique qui pourraient être perdus. La plupart des pays manquent de dispositifs sociaux (assurance chômage, maladie...). Les conséquences économiques, certes, mais aussi et avant tout sociales, s’annoncent extrêmement lourdes. La croissance du continent en 2020 serait négative avec des estimations allant de -0,8% à -1,1% selon que la fin de la pandémie ait lieu en juillet ou en août.
Les pays africains importent de nombreux produits de base, comme les trois grandes céréales (riz, blé, maïs) pour une valeur annuelle d’environ 25 milliards de dollars, mais également de la viande, des produits laitiers, du sucre... L’Afrique est complétement dépendante du commerce international pour sa sécurité alimentaire. Plusieurs éléments impactent la dépendance céréalière de l’Afrique.
- En dehors de l’Afrique australe, la production de blé est quasi nulle, y compris en Afrique de l’Est, à la suite des ravages extraordinaires provoqués par les hordes de criquets pèlerins.
- La disponibilité en devises aura évidemment un impact sur les capacités d’importation. Les pays les plus pauvres d’Afrique vont devoir trouver des solutions pour aider leurs populations à survivre mais pourront-ils, en même temps, continuer de payer leurs dettes ? La dette publique africaine était de 1 330 milliards de dollars en 2018, soit 60% du PIB total, dont une dette extérieure de 365,5 milliards de dollars. La CNUCED, le FMI et la Banque mondiale, appellent les créanciers des pays les plus pauvres à « geler ou annuler les remboursements de dettes » afin que ces pays puissent dégager de l’argent pour combattre la pandémie. En parallèle, les pays du G20 se sont mis d’accord pour injecter 5 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale. Ils vont appuyer un plan pour répondre au « risque de vulnérabilité à l’endettement des pays à faibles revenus » et pour apporter une assistance financière « aux marchés émergents et aux pays en développement ». La Banque Mondiale a débloqué 370 millions de dollars pour lutter contre le coronavirus dans 10 pays africains. L’Union Européenne va, quant à elle, débloquer plus de 15 milliards d’euros pour soutenir la lutte contre la pandémie des pays les plus vulnérables d’Afrique et d’ailleurs.
- Les pays producteurs de pétrole ont subi une chute colossale du prix du baril, affaiblissant leurs capacités d’achat. Cela pourrait se traduire par une baisse de consommation locale dans des pays comme le Nigeria, l’Angola et le Gabon.
- Ajoutons à cela l’impact négatif de la fluctuation des devises. Les importations coutent plus cher en monnaie locale et il est très difficile pour les opérateurs locaux de répercuter ces surcoûts sur les prix de vente des produits transformés. Encore une source de conflits sociaux.
- En Afrique subsaharienne, les opérateurs céréaliers sont tous privés. Ils réfléchissent donc en fonction de deux critères : chiffre d’affaires et marges. Leurs capacités de stockage sur place sont limitées et ils travaillent souvent avec moins d’un mois de stock tampon.
- Contrairement aux populations occidentales, celles des pays en développement n’ont pas les moyens d’acheter compulsivement pour stocker en masse. Les familles ont au mieux une semaine de réserve. On ne relève donc pas d’augmentation exceptionnelle de la demande de farine.
Pour toutes ces raisons et malgré le stress ambiant dû à l’annonce par certains États de l’arrêt de leurs exportations de blé et de riz, nous ne pensons pas que l’Afrique subsaharienne va se mettre à acheter en masse. Les achats d’ici la fin de la campagne sont déjà dans les livres des exportateurs et comme les prix de la nouvelle campagne sont plus attractifs, tout le monde va attendre juillet, comme d’habitude, pour prendre position. Par contre, il est possible que le PAM soit sollicité plus que d’ordinaire pour palier certaines situations de détresse humaine, comme c’est le cas semble-t-il au Soudan en ce moment.
Les Etats africains ont réagi rapidement face aux premiers cas de Covid-19 sur leurs territoires avec la mise en place de mesures préventives. Néanmoins, en luttant contre cette crise sanitaire, ils vont devoir faire face à une crise économique et sociale sans précédent.
France Export Céréales, Bureau de Casablanca