Pourquoi l’accord Mercosur est beaucoup plus dangereux que le CETA

La compétitivité et les distorsions de concurrence en céréales1

Le Canada a des normes sociales et environnementales et des coûts de production en céréales proches des nôtres. Même si les deux accords prévoient une ouverture du marché européen, la concurrence peut être qualifiée de loyale par rapport aux producteurs canadiens, ce qui n’est pas le cas avec les brésiliens et argentins aux coûts beaucoup plus faibles.

Les céréales pour lesquelles le Canada est exportateur bénéficient déjà soit de droit variables actuellement nuls (blé dur, blé tendre à plus de 14 % de protéines), soit de quotas à droit nul (blé tendre avec moins de 14% de protéines, orge) et pourtant, il n’y a pas d’effet négatif sur le marché européen car les seules céréales canadiennes qui rentrent sont du blé dur (au même prix que le blé dur européen) et du blé de force (indispensable car l’UE est déficitaire).

C’est tout différent pour l’Argentine, dont le blé tendre est, comme le russe, nettement moins cher et très agressif en Europe[1] et pour le Brésil, hyper compétitif en maïs et pour lequel les droits actuels sont clairement une barrière.

 

Les menaces sur nos marchés

Le CETA n’est pas une menace pour nos débouchés industriels (amidonnerie, éthanol) car le Canada exporte peu ce type de produit. Le seul danger serait qu’il contourne l’accord en devenant une plate-forme de réexportation d’amidon ou d'éthanol américain (les USA sont hyper compétitifs sur ces produits d’où notre opposition au TTIP). D’où l’importance de règles d’origines strictes et d’un système de surveillance, qui sont précisément prévus dans le CETA.

Au contraire, le Mercosur constitue une grosse menace en amidonnerie et éthanol.

Le CETA ne menace pas non plus la production européenne de porc et volaille, qui constituent les principaux débouchés en élevage des céréales françaises. En effet, le Canada n’est pas compétitif en volailles. Et en porc, il est compétitif et le CETA prévoit des quotas sans droit de douane vers l’Europe mais avec un strict respect des normes UE, c’est-à-dire sans ractopamine. Ce qui obligera le Canada à monter une filière spécifique avec des produits plus chers donc une concurrence loyale.

Le Brésil, lui, constitue une menace forte en viande de volaille et de porc, où il est hyper compétitif (il sature ses contingents existants en volaille) et a des normes de production nettement plus laxistes (bien-être animal, hormones, traçabilité, environnement…), pour lesquelles il n’est pas question de convergence ni de barrières.

 

Les opportunités au Canada pour nos productions

Le CETA prévoit une libéralisation mutuelle sur la quasi-totalité des produits alimentaires transformés, pour lesquels le Canada exporte peu et constitue un nouveau marché pour les exportations européennes de pâtes, biscuits, sucreries etc., sans parler de secteurs comme les vins et spiritueux européens qui seront les grands gagnants de l’accord.

Nous ne connaissons pas encore le contenu de l’accord Mercosur concernant leurs ouvertures aux produits céréaliers transformés.

 

Deux accords à la philosophie très différente

La négociation UE/Mercosur a commencé en 1999 !  Incroyable mais vrai. Les pays du Mercosur étaient, et sont encore vus par l’Europe comme des pays en développement « émergents » mais pauvres, qu’il importe de rapprocher de l’Europe pour des raisons politiques (stabiliser leurs démocraties) et stratégiques (ne pas laisser aux américains le monopole de l’influence régionale).

De plus, la structure des économies donc des échanges UE/Mercosur est très différente : les exportations du Mercosur vers l'UE sont principalement des produits agricoles (à 43%) et des matières premières (28%), alors que les exportations de l'UE vers le Mercosur sont des produits industriels manufacturés (machines, matériel de transport, produits chimiques).

L’accord Mercosur est donc doublement déséquilibré :

-déséquilibré car l’UE veut favoriser le développement économique du partenaire en lui offrant plus de concessions qu’elle n’en demande.

-déséquilibré sur le plan sectoriel car pour entrouvrir leurs marchés industriels et des services, très protégés et très prioritaires pour l’UE, l’Europe utilise comme monnaie d’échange son secteur agro-alimentaire qui est l’un des seuls où ces pays sont compétitifs et excédentaires.

Avec le Canada, on est sur un accord « entre égaux ». Les normes canadiennes sont plus exigeantes qu’au Brésil ou en Argentine. De plus, comme tous les accords commerciaux de l’UE, le CETA ne prévoit pas de reconnaissance mutuelle donc ne crée pas de risque que soient importés des produits qui ne respecteraient pas les normes sanitaires européennes.

De plus, le CETA est un accord « de nouvelle génération » qui prévoit entre autres une « coopération réglementaire », sur des bases volontaires, devant conduire à long terme vers une convergence des normes, ce qui intéresse beaucoup les céréaliers car :

-Ceci évitera que le Canada ait la tentation (improbable) de pratiquer le dumping social ou environnemental ;

-Cela pourrait peut-être limiter le fâcheux défaut de l’Europe à durcir à l’excès ses normes sanitaires et environnementales, parfois sans base scientifique (principe de précaution).

 

Une opposition de principe aux accords de libre-échange conclus par l’Europe

Tous les accords de libre-échange signés par l’Europe prévoient que le pays exportateur, par exemple la Canada ou le Brésil, doit respecter les normes de qualité sanitaire des produits agricoles et alimentaires qui ont cours dans le pays importateur, par exemple l’Europe. Ainsi, si les contrôles aux frontières sont efficaces, il n’y a aucun risque de voir l’Europe importer des produits dangereux pour la santé des consommateurs. Les résidus de produits phytosanitaires qui pourraient se trouver dans les aliments, par exemple, sont strictement encadrés par les LMR (limites maximales de résidus) que l’Europe impose aussi bien aux produits domestiques qu’aux produits importés[2].

En revanche, la situation est très différente pour ce qui concerne les normes de production agricole mises en place, sur une base scientifique ou non, pour protéger l’environnement[3] du pays producteur et qui ne laissent pas de « trace » dangereuse dans les produits. Il en est ainsi des interdictions de produits phytosanitaires, des limitations de fertilisation ou encore des interdictions de certaines techniques génétiques comme les OGM. Ainsi, trois principes actifs interdits dans l’agriculture européenne depuis 12 à 28 ans, les herbicides Paraquat et Atrazine et l'insecticide Acéphate, comptent parmi les dix substances phytosanitaires les plus vendues au Brésil. Les céréales cultivées avec ces substances peuvent être exportées en Europe tant qu’elles respectent les LMR européennes2. Ce qui crée non pas un problème pour la santé des européens (protégée par les LMR) mais une distorsion de concurrence entre producteurs des deux côtés de l’Atlantique, car les produits phytosanitaires en question sont particulièrement efficaces et bon marché pour les agriculteurs[4].

L’Europe ayant les normes environnementales et climatiques3 en agriculture les plus strictes du monde, tout accord de libre-échange sans convergence des normes de production agricole génère ainsi une concurrence déloyale, particulièrement évidente vis-à-vis du Brésil et de l’Argentine mais présente aussi dans le cas du Canada[5].

C’est pourquoi, tant que l’Europe et la France continueront d’imposer à leurs agriculteurs des normes de production beaucoup plus exigeantes que dans les autres pays agricoles exportateurs, les producteurs céréaliers français continueront à exprimer une opposition de principe au libre-échange de produits agricoles.



[1] Le contenu de l’accord UE/Canada (CETA) est connu avec précision, et le CETA est mis en œuvre de manière provisoire depuis le 21 septembre 2017, ce qui nous donne un certain recul sur ses effets sur le commerce extérieur. Au contraire, l’accord UE/Mercosur a été annoncé le 28 juin 2019 et son contenu précis n’est pas connu au jour où nous écrivons. L’accord prévoirait semble-t-il l’ouverture totale du marché européen aux pays du Mercosur pour certaines céréales (orge, avoine). Pour le maïs, le sorgho et le riz, des contingents d’importation seraient ouverts sans droit de douane. Pour le blé tendre, aucune ouverture de marché ne serait prévue.

[2] Les LMR concernent aussi bien les produits phytosanitaire dont l’usage est autorisé dans l’agriculture européenne que ceux qui sont interdits.

[3] Ce problème ne se limite pas strictement aux normes environnementales. Certaines normes de production agricole, justifiées par des arguments « sanitaires » ou « sociétaux » mais sans base scientifique, créent le même type de distorsion, comme par exemple en France l’interdiction en élevage de certaines farines animales ou l’interdiction faite aux agriculteurs d’utiliser des produits phytosanitaires à proximité des habitations.

[4] Ces distorsions s’ajoutent aux différentiels de coût « structurels » liées par exemple à la taille des exploitations ou au coût de la main d’œuvre

[5] Par exemple les insecticides néonicotinoïdes sont autorisés au Canada mais interdits en Europe pour des motifs environnementaux. Les produits agricoles canadiens concernés peuvent rentrer en Europe si les LMR sur les néonicotinoïdes dans ces produits sont respectées.