Interview de Jean-Marc Bournigal, Directeur général de l'AGPB par Gil Kressman
pour Biotechnologies végétales infos du 4ième trimestre 2019.
Que pensez-vous des propositions du GIEC sur les évolutions de l’agriculture ?
Si on analyse ses projections sur les évolutions en matière de changements climatiques, on perçoit que le réchauffement impactera différemment les continents et que la fréquence et l’ampleur des évènements externe, inondations, période de sècheresse vont s’accroitre. En même temps il faut se préparer à devoir nourrir une population mondiale en forte croissance alors que les surfaces de terres cultivables n’augmenteront guère. C’est pourquoi le GIEC prône logiquement pour l’agriculture l’augmentation des rendements des cultures. Il convient de produire plus et mieux et pour cela la sélection génétique aura une place centrale.
Qu’attendez-vous de la recherche pour la génétique du blé ?
Le blé est une plante complexe présente pratiquement partout dans le monde, dont la connaissance du génome est très récente, grâce à une importante mobilisation de la recherche au niveau international. Malgré cette forte mobilisation on constate un plafonnement des rendements du blé depuis la fin des années 90, principalement en raison de la sensibilité aux changements climatiques. Cependant les attentes sont fortes et on mise beaucoup sur la génétique pour l’avenir, à plusieurs titres. Quelle génétique permettra-t-elle de mieux résister au stress hydrique, aux pics de chaleur ? de lutter contre les maladies du blé et les insectes nuisibles pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires ? d’améliorer la qualité nutritionnelle, de supprimer les allergènes pour répondre aux préoccupations sociétales croissante sur ces sujets ? Sur l’ensemble ces points la recherche doit apporter des solutions génétiques. Le champ de la recherche est donc immense. La génétique mais aussi la robotique, le numérique, le biocontrôle seront des facteurs technologiques clefs qu’il va falloir mobiliser dans les années futures.
Quel rôle donnez-vous aux biotechnologies végétales ?
La génétique a un rôle central à jouer pour nous permettre de relever les nombreux défis auxquels est confronté notre planète. En France et plus largement en Europe, nous restons marqués par l’expérience traumatisante des OGM qui a asphyxié la recherche dans nos pays. Certaines nouvelles techniques ont cependant émergé depuis. Parmi elles, les technologies d’édition génomique, en permettant notamment de raccourir les délais, représentent un potentiel d’accélération formidable dans le domaine de la sélection végétale dont les innovations sont nécessaires pour améliorer les plantes et favoriser la transition agroécologique et faire face aux conséquences de changement climatique. Mais le manque de règlementation de l’édition génomique constitue un handicap qui inquiète le monde agricole.
Pourquoi le monde agricole est-il inquiet ?
De nombreux pays hors UE ont déjà adopter ces nouvelles techniques sans réglementation particulière : Etats-Unis, Canada, Japon, Argentine, Brésil, Chine, Russie…Des innovations sont en train d’être mis au point dans ces pays grâce à l’édition génomique. La Commission de l’UE n’a pas encore tiré de conséquences juridiques de la décision de justice prise par la CJUE sur le statut de la mutagénèse. Des modifications de la réglementation européenne s’imposent pourtant pour permettre à l’UE de pouvoir utilisé ses nouvelles techniques. Sans l’adoption de ces techniques, l’Europe sera dans l’incapacité d’adapter rapidement ses plantes aux changements climatiques et de contribuer suffisamment à la réduction des utilisations des phytosanitaires. Cela pourrait même aboutir à ne plus permettre à certaines cultures d’être produites sur le territoire européen, sans parler des conséquences en termes de concurrence pour les agriculteurs européens.
Etes-vous optimiste sur l’avenir de ces technologies ?
Les scientifiques ont émis des avis très positifs sur ces nouvelles technologies compte tenu des potentiels d’innovations qu’elles pourraient générer. Il serait dévastateur pour notre Europe de ne pas pouvoir s’engager dans leur utilisation alors que d’autres pays s’y lancent avec d’importants moyens. La nouvelle Commission doit s’emparer rapidement de ce sujet et faire des propositions réglementaires car les agriculteurs ne peuvent pas rester plus longtemps dans l’incertitude. Mais le grand défi est de faire comprendre à la populations les différences entre ces nouvelles technologies et celles plus ancienne de la transgénèse. Il va falloir démontrer que ces nouvelles techniques sont capables d’apporter un réel bénéfice pour les consommateurs et les citoyens, c’est-à-dire d’améliorer les plantes dans un sens attendu par la société. Les bénéfices de ces nouvelles technologies devront avoir du sens pour la société si on veut qu’elles soient acceptées. Les défis sont là, les attentes de la société sont fortes, j’espère que l’intelligence collective l’emportera !