Au cours de son assemblée générale virtuelle tenue le 30 septembre, l’industrie française des produits amylacés a confirmé sa résilience face à la crise sanitaire et a mis en avant deux priorités pour l’avenir : relancer le fret ferroviaire en ciblant les capillaires, et développer la teneur en protéines du blé tendre et la production de protéagineux pour l’alimentation humaine. Face aux nouvelles exigences européennes sur le climat et l’environnement, Geneviève Pons, directrice d’Europe Jacques Delors, a plaidé pour l’adaptation de la politique commerciale européenne.
L’Union des syndicats des industries des produits amylacés et de leurs dérivés (USIPA) a tenu son Assemblée générale ce mercredi 30 septembre en mode virtuel en raison de la crise sanitaire.
Un secteur qui pèse 3 milliards d’euros et transforme 6 Mt de produits agricoles
En préalable à l’Assemblée générale, Marie-Laure Empinet, Présidente de l’USIPA et Thomas Gauthier, délégué général, ont rappelé quelques chiffres. L’industrie amidonnière établie en France (ADM, Cargill, Roquette et Téréos) est la première d’Europe et la quatrième dans le monde. En 2019, elle a généré un chiffre d’affaires qui dépasse 3,1 milliards d'euros dont 75 % à l’export et 50,5% vers l’UE. Les seuls produits amylacés représentaient 2 milliards d'euros pour 3,1 Mt d’amidon produites sur 10 sites industriels (essentiellement dans les Hauts-de-France et le Grand Est) qui représentent 15 900 emplois directs et indirects.
L’amidonnerie française transforme chaque année 6 Mt de produits agricoles, cultivés quasi exclusivement en France sur 650 000 ha par 15 000 producteurs de grandes cultures, dont 2,7 Mt de blé (350 000 ha), 2,1 Mt de maïs, et 1,2 Mt de pois protéagineux et de pommes de terre.
Une industrie résiliente
Qualifiée de « secteur essentiel » par le gouvernement pendant le confinement, la filière amidon a tenu le choc de la crise sanitaire et assuré l’approvisionnement de ses clients, au prix de surcoûts et d’ajustements.
D’après Thomas Gauthier, l’absentéisme est toujours resté inférieur à 15 %, et les usines ont été capables d’adapter leur mix produit, pour passer par exemple d’un amidon à une maltodextrine ou à un glucose afin de répondre à demande, avec des surcoûts allant jusqu’à 20% pour certains acteurs, liés au fret routier ou à la réorganisation des usines. Et le secteur, qui n’a pas encore complètement retrouvé le niveau de production d’avant-crise, risque maintenant d’avoir à faire face à des coûts supplémentaires liés à la mise en place d’un Brexit dur, avec des taxes douanières estimées à 211 M€ au niveau européen. « Nous sommes encore dans la crise, et on ne sait pas quand on va en sortir », concluait Marie-Laure Empinet.
Relancer le fret ferroviaire
Entre 2002 et 2015, l’amidonnerie française a réussi à réduire de 20% ses émissions directes de CO2 à la tonne produite, ce qui représente 420 000 tonnes annuelles de CO2 évitées, ceci au moyen de à 3 leviers principaux : une meilleure efficacité énergétique des usines grâce aux cogénérations à haut rendement, un recours accru aux énergies renouvelables (géothermie profonde, chaudières à biomasse, autoproduction de biogaz), et le développement du fret ferroviaire, 9 fois moins émissif que les camions.
L’amidonnerie, dont 50% des céréales sont livrées vers les usines par le train, souhaite la relance du fret ferroviaire. Car le rail, qui représente à peine plus de 17% de l’ensemble des transports dans l’Union européenne, est en perte constante de vitesse (-1,3 points entre 2011 et 2016). Rattraper le retard du ferroviaire apparaît ainsi comme essentiel pour décarboner les transports et diminuer les émissions de CO2.
Or près de la moitié des lignes capillaires (lignes de désertes fines du territoire LDFT) consacrées exclusivement au fret sont menacées : 590 km de voies ont une pérennité inférieure à 5 ans dont 400 km pourraient disparaître dans les deux prochaines années.
C’est pourquoi l’USIPA avec Intercéréales a proposé au gouvernement un schéma directeur national pour repenser plus largement une politique du fret multimodale, massifiée, innovante et compétitive. Les amidonniers veilleront à ce que le volet ferroviaire du plan France Relance (4,7 milliards d'euros) finance en priorité les investissements concernant la préservation des raccordements des usines au réseau ferré.
Développer les protéines végétales
Ces dernières années, le blé, moins riche en amidon que le maïs mais plus riche en protéines elles-mêmes mieux adaptées à l'alimentation humaine (gluten), a pris le dessus dans l’approvisionnement des amidonneries sur le maïs, auparavant prédominant. Le gluten est un marché en croissance de 13 % depuis 2012, dominé notamment par la nutrition animale (58 % des volumes). « Les protéines végétales sont le cœur de croissance de notre activité, elles représentent 43 % du potentiel de croissance entre 2010 et 2030 », indique Thomas Gauthier.
L’USIPA souhaite la mise en place d’une véritable stratégie nationale pour préserver la teneur en protéines du blé tendre français et développer la production de protéagineux essentiels à la souveraineté alimentaire nationale. Mais ce plan devra absolument accompagner une offre vers l’alimentation humaine, demandée par les consommateurs pour des raisons écologiques et nutritionnelles. Pour développer ce marché émergent à fort potentiel et créateur de valeur, il est essentiel de mobiliser des financements ciblés sur l’industrialisation de la production, le développement des méthodes analytiques et des normes de production sans oublier la promotion des produits.
L’USIPA s’inquiète cependant de la faiblesse du montant consacré aux protéines végétales dans le Plan de relance français, 100 M€ à comparer aux 1,2 milliards alloués à l’agriculture. « On ne peut que saluer le plan de relance, conclut Marie-Laure Empinet, mais pour développer les cultures et leur transformation, cela reste bien peu pour l’ensemble des acteurs concernés ».
La nécessaire adaptation de la politique commerciale aux nouvelles exigences européennes sur le climat et l’environnement
Le point d’orgue de l’assemblée générale était l’intervention consacrée à la transition écologique de l’industrie amidonnière face à la crise sanitaire par Geneviève Pons, Directrice Générale du think tank Europe Jacques Delors, qui produit des analyses et des propositions destinées aux décideurs et aux citoyens européens.
Pour elle, le défi principal de l’avenir est de conjuguer la productivité de l’agro-alimentaire européen et une transition écologique exigeante, déjà inscrite dans la demande des consommateurs pour une alimentation saine, plus végétale et bio, les résultats des dernières élections européennes, la nouvelle proposition de réduction de 55% des émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990, la réduction des quotas d’émissions pour 2021-2030, les stratégies « De la ferme à la table » et « Biodiversité » du Green deal, la réforme en cours de la PAC, et l’objectif que 75% des sols européens soient sains pour l’alimentation, la population, la nature et le climat d’ici 2030.
Compte tenu des nouvelles exigences imposées à sa production intérieure et des coûts supplémentaires qu'elles entraînent, Geneviève Pons considère indispensable que l'Europe verdisse sa politique commerciale.
Cette adaptation devra comprendre un mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières, sur lequel Europe Jacques Delors vient de publier une proposition détaillée, ainsi que le renforcement des dispositions environnementales des accords commerciaux multilatéraux et bilatéraux, comme l’accord UE-Mercosur. A une question soulevée par l’AGPB sur le risque de voir la production végétale européenne subir des surcoûts élevés sans pouvoir bénéficier de ce type d’ajustement aux frontières, Mme Pons a répondu qu’elle partageait cette préoccupation et qu’il s’agit d’un champ politique nouveau avec des solutions à inventer, qui feront l’objet d’une nouvelle publication d’Europe Jacques Delors d’ici la fin de 2020.