Au cours de sa conférence annuelle sur les perspectives agricoles, la Commission européenne a réaffirmé son engagement écologique, tout en présentant des perspectives agricoles qui ne tiennent pas compte du Green deal. Les surfaces céréalières européennes seraient en baisse et la production en augmentation à l’horizon 2030, grâce à une hausse attendue des rendements.
La Commission européennes organisait les 16 et 17 décembre sa conférence annuelle sur les perspectives agricoles à 10 ans, organisée cette année en mode virtuel et placée sous le thème de « l’agriculture européenne de prochaine génération, de la crise du Covid-19 à la relance verte ».
En introduction, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen (cf. illustration) se félicitait de la résilience de l'agriculture pendant la crise sanitaire et se livrait à un plaidoyer en faveur du Green deal et des objectifs de ses stratégies Farm to Fork et biodiversité, affirmant qu’ils constituent pour les agriculteurs de nouvelles opportunités et non de nouvelles contraintes et que « les agriculteurs n’ont pas besoin d'être convaincus que le Green deal est la voie à suivre ».
L’évènement fut également l’occasion pour Tassos Haniotis, Directeur de la Stratégie, la simplification et l’analyse des politiques à la DG Agriculture, de présenter ses vues sur les opportunités, défis et risques pour l’agriculture dans un monde post-Covid. Sur les marchés agricoles, il relevait que 2020 est la quatrième année consécutive de perturbations de l’offre liées à des évènements climatiques, avec pour résultat une baisse des stocks et une fermeté des prix. En Europe, T. Haniotis constate que des initiatives politiques comme le Green deal « demandent une meilleure liaison entres des objectifs parfois contradictoires ». En référence aux scénarios possibles développés par IHS Markit pour l’après-Covid, T. Haniotis relevait que le scénario « investissements verts », le plus propice à la reprise économique générale grâce à la baisse des prix de l’énergie, pourrait se révéler moins favorable pour l’agriculture, à cause des baisses plus fortes des prix et de la production des biocarburants. En conclusion, il insistait sur la nécessaire mise en œuvre de nouvelles pratiques et technologies liées à l’agriculture, capables de concilier efficacité économique et environnementale. De ce point de vue, la crise du Covid nous a montré que sont à l’oeuvre à la fois une accélération irrésistible de la transition numérique et de fortes résistances de la société au changement, liées à une défiance envers la science.
Céréales : surfaces en baisse et production en hausse … sans prendre en compte le Green deal
Le 17 décembre, la Commission européenne publiait et présentait ses perspectives chiffrées sur la production et les marchés agricoles à l’horizon 2030.
En 10 ans, la surface agricole européenne diminuerait de 500 000 ha (-0,3%) au profit de la forêt et des surfaces artificialisées. Cette décroissance impacterait uniquement les terres arables (-1,2 Mha soit -1,1%), alors que les surfaces consacrées aux cultures permanentes et aux prairies permanentes augmenteraient chacune de 300 000 ha. Mais la baisse des terres arables traduirait essentiellement une baisse de 1 Mha des surfaces en jachères qui passeraient de 6,1% à 5,2% des terres arables, les terres arables cultivées se réduisant de 400 000 ha (-0,4%). Cette baisse serait le résultat d’une nette baisse de de la surface céréalière (de 52,4 à 51 Mha en 20 ans soit -1,4 Mha ou -2,7%), alors que les surfaces consacrées aux légumineuses augmenteraient de 800 000 ha (de 2,1 à 2,9 Mha soit +39%), que celles cultivées en oléagineux et betteraves resteraient stables, et que celles consacrées aux fourrages et autres cultures augmenteraient de 600 000 ha.
Cette baisse des surfaces céréalières toucherait pour un tiers chacun le blé tendre, l’orge et le blé dur (qui perdrait 7,5% de la surface de 2,4 à 2 Mha). Des rendements en hausse de 4,5% (+0,2 t/ha) contrebalanceraient la baisse des surfaces, avec une production céréalière passant de 273 à 278 Mt (+1,7%), les céréales à paille gagnant 2 q/ha (5,6 à 5,8 t/ha en blé tendre) et le maïs 4 q/ha (7,3 à 7,7 t/ha). La Commission attribue ce gain de productivité à l’amélioration des rotations et du travail du sol et à l’usage des outils d’aide à la décision sur les intrants. La consommation céréalière européenne resterait quasi stable, la hausse de production se traduisant par une hausse de 2 Mt des exportations nettes de céréales à 18 Mt, essentiellement sur le blé tendre (+1,8 Mt à 27 Mt) et sur l’orge (+1 Mt à 10 Mt), alors que le déficit devrait se creuser de 0,2 Mt en maïs (à -17,5 Mt) et de 1 Mt en blé dur (à -1,8 Mt).
La Commission prévoit une quasi-stagnation de la production d’oléagineux, avec une baisse du colza compensée par une hausse du tournesol et du soja tirés par la consommation intérieure, une stabilité de la production betteravière (l’UE devenant exportatrice nette de sucre grâce aux produits transformés ce qui compenserait la baisse de la consommation), et une nette hausse de la production de légumineuses tirée par un bond de 30% de la demande intérieure en protéines végétales.
Quant aux biocarburants en Europe, les perspectives sont à la baisse de la production (-1,2 MTEP à 13,9 MTEP) et de la consommation (-1,7 MTEP à 15,5 MTEP), principalement à cause de la baisse drastique attendue de la consommation de carburants qui représenterait -15 MTEP sur l’essence (à 50,5 MTAP) et surtout – 39 MTEP sur le diesel (à 128 MTEP). Dans le détail, la consommation européenne de bioéthanol resterait stable à 2,3 MTEP comme sa production (3,1 MTEP), ainsi que la contribution des céréales (2 MTEP) et des betteraves (0,8 MTEP) dans cette production, le bioéthanol « avancé » n’émergeant pas de manière significative. Au contraire, la consommation et la production de biodiesel amorceraient une nette baisse (respectivement -1,6 MTEP à 12,1 MTEP et -1,2 MTEP à 10,8 MTEP). Outre la baisse de la consommation, la Commission anticipe une chute des importations d’huile de palme (-1,6 MTEP à 1,1 MTEP) liée à la difficulté pour les opérateurs d’obtenir une certification ILUC (changements indirects d’affectation des sols dans les pays d’origine en Asie du sud-est), ce qui permettrait de limiter à -0,2 MTEP (à 5,7 MTEP) la baisse de la production de biodiesel à partir du colza.
La Commission précise que ces prévisions reflètent les tendances de la production et des marchés sans prendre en compte les futurs accords commerciaux (Mercosur…), la réforme de la PAC qui sera mise en œuvre en 2023, ni les objectifs des stratégies Farm to Fork et Biodiversité du Green deal qu’elle a proposées cet été. Une réserve qui relativise l’intérêt de ces prévisions, même si la Commission est cohérente avec son refus jusqu’à présent de dévoiler la moindre étude d’impact[1] du Green deal sur l’agriculture…
[1] La Commission indique que ces prévisions pour 2030 constituent la “ligne de base qui servira de référence pour évaluer l’impact sur les marches agricoles des différentes options de politiques qui peuvent être envisagées pour mettre en œuvre le Green deal et les stratégies et actions associées.“