La mesure d’ajustement carbone aux frontières (MACF) constitue la seule innovation de la future politique commerciale européenne. Elle vise à rétablir une concurrence équitable en cas de divergence des ambitions climatiques internationales. Les producteurs européens demandent son application à l’agriculture européenne. Si, comme c’est probable, ils ne sont pas entendus, alors il est essentiel que l’industrie des engrais soit également exclue de la MACF.
Dans sa communication du 18 février dernier sur la révision de la politique commerciale européenne, la Commission européenne prône une « autonomie stratégique ouverte » permettant à l’UE « de faire ses propres choix et de façonner le monde qui l’entoure par son rôle de chef de file et par son engagement, à la lumière de ses intérêts stratégiques et de ses valeurs ». La politique commerciale doit donc être adaptée aux objectifs du Green Deal, et en premier lieu à l’objectif européen de neutralité climatique, avec la nécessité d’une concurrence équitable malgré la divergence des engagements climatiques internationaux.
Dans ce contexte, la seule véritable nouveauté proposée par la Commission est la mise en place d’une mesure d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe (MACF), un instrument d’équité dont le principe est simple : taxer les marchandises importées au prorata de la quantité de gaz carbonique émis au cours de leur fabrication. A travers ce prix du carbone imposé aux importations comme il l’est déjà à la production en Europe, on évitera ainsi les distorsions de concurrence et les « fuites de carbone », c’est-à-dire la délocalisation des industries européennes vers des pays appliquant des exigences climatiques moins strictes.
Si l’on regarde de plus près la situation de l’agriculture européenne dans la concurrence internationale, cette cohérence affichée avec la MACF est pourtant loin d’être une réalité, particulièrement dans le cas des grandes cultures. Nos producteurs de céréales et d’oléagineux doivent vendre leurs produits dans un marché ouvert, donc au prix mondial, alors qu’ils font face à des coûts de production qui augmentent, notamment à cause des ambitions plus élevées donc des normes environnementales plus strictes en Europe qu’ailleurs. Et le paradoxe – ou l’incohérence – atteint des sommets dans le cas des engrais azotés. Pour ces intrants indispensables à la production végétale, qui pèsent 30% des coûts spécifiques dans les céréales et les oléagineux, le marché européen est protégé par un double dispositif de droits de douanes et de taxes antidumping sur les importations. Résultat : en 2018-2019, le prix de ces engrais était 23% plus cher que sur le marché international, pour un surcoût de plus d'un milliard d'euros par an à la charge des agriculteurs européens.
Et les ambitions climatiques de l’UE risquent d’augmenter encore les coûts de production de notre agriculture, alors que nos concurrents ukrainiens, russes, brésiliens ou argentins subiront moins de contraintes. C’est pourquoi l’application de la MACF à l’agriculture est une mesure d’équité demandée par les producteurs européens.
Malheureusement, il est plus que probable qu’ils ne soient pas entendus. Car la MACF est conçue comme un complément au système européen des quotas d’émissions, qui s’applique uniquement au secteur énergétique et aux industries les plus émissives.
Et si l’agriculture est exclue du mécanisme d’ajustement carbone, il est essentiel que l’industrie européenne des engrais - déjà ultra-protégée - en soit également exclue, sous peine de rendre les engrais encore plus chers en Europe et de retirer toute compétitivité à notre agriculture : il en va de la survie de nombreuses productions agricoles et notamment céréalières et oléagineuses. C’est le sens du message de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et du COPA, l’organisation européenne des agriculteurs.