Prix du blé : Kansas-City, marché de référence

Dans un contexte de baisse structurelle de la production de blé aux Etats-Unis, le SRW, coté sur le marché à terme de Chicago 20 €/t plus cher que le HRW de Kansas City, est devenu marginal en termes de production et de commerce international. Les cotations de Chicago correspondent à des prix locaux de moins en moins représentatifs, et les cotations du HRW de Kansas City pourraient devenir la référence dans les échanges internationaux de blé.

Depuis une quarantaine d’années, l’échiquier international du blé a connu de profondes transformations, avec la montée en puissance des pays de la Mer Noire (Russie, Ukraine, Kazakhstan) alors que la place des Etats-Unis se réduisait nettement. La production mondiale atteint aujourd’hui environ 760 Mt, contre 440 Mt en 1981 (+73%) alors que, dans l’intervalle, celle des Etats-Unis est passée de 70 à 50 Mt (-30%). Pendant la même période, les exportations ont évolué encore plus rapidement en augmentant de 85% au niveau mondial (100 à 180 Mt), alors que celles des Etats-Unis se réduisaient de -38% (40 à 25 Mt). La part des Etats-Unis dans la production mondiale de blé n’est plus aujourd’hui que de 7% contre 16% il y a 40 ans, et leur part dans les exportations n’est plus que de 14%, contre 40% il y a 40 ans (cf. graphique). Dans l’intervalle, l’addition des parts de l’Ukraine et de la Russie passait de 0 à 35%.

Dans ce contexte, il est intéressant de s’interroger sur l'importance pour le commerce international des différents types de blés américians et sur la représentativité de leurs cotations sur les marchés à terme.

En Amérique du nord, les deux principaux contrats à terme du blé sont le SRW de Chicago et le HRW de Kansas City, ce dernier étant moins connu chez nous alors qu'il cote la principale qualité de blé américain : le Hard Red Winter Wheat ou HRW, un blé panifiable riche en protéines produit dans les grandes plaines centrales (Montana, South Dakota, Nebraska, Kansas, Oklahoma, Texas). Même si le contrat de Kansas City est en fait coté à Chicago, dont l'opérateur CME Group a racheté celui de Kansas City en 2012, ses points de livraison sont situés dans le Kansas. Le contrat de Chicago cote le SRW (Soft Red Winter Wheat), et ses points de livraison sont dans la région de Chicago en amont du Mississipi. Le SRW est un blé biscuiter pauvre en protéines, produit en volume plus faible que le HRW dans l’est du pays (Grands Lacs et vallée du Mississipi) et peu exporté.

Jusqu’au milieu de l’année 2019, les prix des contrats à terme de Chicago et Kansas City, respectivement pour le SRW et le HRW, étaient à des niveaux proches, avec le plus souvent un « spread » positif pour le HRW de Kansas City, dont le prix dépassait légèrement le SRW. Depuis mi-2019, les cotations se sont inversées et éloignées, avec un spread systématique d’environ 20 €/t en faveur du SRW de Chicago (cf. graphique). Comment analyser ce changement ?

La première raison est à chercher du côté du SRW de Chicago, un blé relativement peu produit (12% du blé américain en 2019) et peu exporté, qui a vu sa surface récoltée baisser très fortement depuis 30 ans (de 4 à 1,5 millions d'hectares), alors que le HRW a mieux résisté (de 12 à 7 Mha). Sur un marché physique devenu essentiellement local, c'est l'offre (réduite) et la demande pour l'industrie biscuitière qui déterminent le prix, compte tenu des stocks qui ont fondu pour atteindre un ratio S/U (stock/consommation annuelle) de 38% en juin 2020 contre 75% en juin 2017. D’où la hausse relative des prix constatés.

Pour le HRW de Kansas City au contraire, un blé produit en bien plus grande quantité (43% du blé américain en 2019) et beaucoup plus exporté, la baisse de l’offre a été plus modérée et la demande a pu s’adapter par une baisse des exportations américaines. Le ratio national S/U pour le HRW n’a baissé que de 65% à 58% de 2017 à 2020, avec peu d’impact sur les prix. Car dans le même temps, les exportations croissantes des pays de la Mer Noire faisaient plus que compenser le retrait américain, en entraînant à la baisse les prix du blé panifiable. Ce qui a maintenu à un niveau relativement bas les prix de Kansas City, en permettant ainsi le maintien du flux d’exportation de HRW américain.

Les prix du SRW de Chicago sont ainsi devenus des prix locaux, de moins en moins représentatifs du marché international. Cette réalité ne se reflète pas encore dans la part de marché en volumes des contrats à terme et options échangés sur le SRW (cf. graphique), un marché extrêmement financiarisé avec environ 70% d’opérateurs financiers contre 30% d’opérateurs commerciaux. Mais si l’on analyse les parts de marché sur les contrats et options en volumes de positions ouvertes, un indicateur qui mesure les positions actives détenues dans la durée (ouvertes et ni fermées, échues ou exercées), alors on constate depuis dix ans une forte baisse de l’importance du contrat SRW, au profit du HRW de Kansas City et du blé panifiable parisien d’Euronext (cf. graphique), deux marchés où la présence des intervenants commerciaux est plus forte. Or les positions ouvertes sont essentiellement détenues par les opérateurs commerciaux du marché, c’est-à-dire les vendeurs et acheteurs de céréales cherchant à couvrir leurs risques de prix, a priori bons connaisseurs des marchés physiques et qui semblent ainsi se détourner progressivement du SRW de Chicago.

Pour les acteurs européens et français, une conclusion se dégage : dans un contexte à long terme de baisse de la production et des exportations américaines de blé, les cotations du HRW de Kansas City sont amenées prendre une importance croissante au détriment du SRW de Chicago, et peut-être à devenir la principale référence dans les échanges internationaux de blé meunier.

Nicolas Ferenczi, AGPB

 

A lire pour aller plus loin: Kansas City vs. Chicago wheat spread: a tale of two markets, Dominic Sutton-Vermeulen, CME Group, 13.01.2020