Solution azotee, temoigner pour convaincre

Le 10 avril dernier, la Commission européenne a publié son règlement d’exécution (UE) 2019/576, qui impose à titre provisoire des taxes sur les importations en Europe de solution azotée (UAN) en provenance de Russie, des Etats-Unis et de Trinité-et-Tobago. Ces taxes dites anti-dumping, à un taux de 16,3 à 34% selon les origines, s’ajoutent aux droits de douane ordinaires actuels de 6,5%.

Ces droits provisoires ne sont pas à payer immédiatement par les importateurs. Il s’agit d’une garantie bancaire ou d’un séquestre qu'ils doivent immobiliser pour le cas où des droits définitifs seraient imposés ultérieurement. Pour les agriculteurs, cela va se traduire par une augmentation des prix de l’UAN, déjà largement anticipée par les opérateurs depuis le lancement de cette enquête anti-dumping en août dernier.

Les agriculteurs européens, pour éviter de subir une fois de plus un renchérissement de leurs coûts de production, ont obtenu deux auditions auprès de la Direction générale du commerce de la Commission européenne. La première audition, menée conjointement par l’AGPB (représentant la FNSEA) et l’IFA (syndicat agricole irlandais) avec l’appui de Coop de France Métiers du grain, a eu lieu le 3 mai à 9h30.

Au cours de cette présentation orale, les représentants de l’AGPB et de l’IFA ont détaillé leur argumentation en 7 points principaux :

  • le marché européen des engrais est protégé et insuffisamment concurrentiel, alors que les producteurs européens de grandes cultures vendent leurs produits sur le marché mondial ;
  • la production de solution azotée est insuffisante en Europe, qui a un besoin structurel d’importations ;
  • les achats de solution azotée représentent un poste de coût critique pour les utilisateurs ;
  • les prix européens de l’UAN ont fortement augmenté par rapport à l’urée et l’ammonitrate depuis août 2018, le marché ayant intégré le « risque antidumping » ;
  • les utilisateurs n’ont qu’une possibilité limitée de substituer des engrais azotés solides à l’UAN
  • des droits antidumping définitifs porteraient un coup très dur au revenu et à la compétitivité des utilisateurs et de l’ensemble des producteurs européens de grandes cultures
  • de telles mesures seraient contraires à l’intérêt général de l’Europe

En s’appuyant sur les données du RICA européen, l’AGPB a notamment réfuté les estimations de la DG Commerce selon lesquelles les engrais azotés représenteraient moins de 10% des coûts de production en grandes cultures, et des mesures antidumping augmenteraient ces coûts de moins de 3%. En réalité, la solution azotée pèse 9 à 17% des coûts totaux selon les années et des mesures antidumping définitives renchériraient ces coûts de 7 à 12%, ce qui représente 50 à 100% du revenu moyen quinquennal des producteurs de céréales et oléo-protéagineux utilisateurs d'UAN, avant charges de l’exploitant et impôts.

En fin de matinée avait lieu une seconde audition, menée par le Copa-Cogeca et 9 organisations agricoles européennes (voir photo) : AGPB et Coop de France (France), IFA (Irlande), Confagricoltura (Italie), UPA (Espagne), DBV (Allemagne), FWA (Belgique), NFU (Royaume-Uni) et MTK (Finlande). La séance, présidée par Jean-François Isambert, vice-président de l’AGPB et président du groupe de travail Céréales du Copa-Cogeca, était entièrement consacrée à des témoignages d’agriculteurs utilisateurs de solution azotée. Elle a été l’occasion pour Philippe Heusele, secrétaire général de l’AGPB, de présenter son exploitation en Seine-et-Marne et les implications qu’auraient pour lui des mesures antidumping. Trois autres témoignages étaient également présentés par Etienne Ernoux, Matthew Culley et John Coughlan, producteurs de céréales respectivement en Wallonie, Angleterre et Irlande.

Ces auditions auront permis, nous l’espérons, d’infléchir l’évaluation faite par la Commission européenne de l’impact prévisible de mesures antidumping et de la convaincre de ne pas proposer de mesures définitives pénalisantes pour les agriculteurs.

Si la Commission persiste malgré tout dans ses intentions, elle devra alors passer par un vote des Etats membres, lors d’un Comité de instruments de défense commerciale en juillet ou septembre prochain. Nous comptons alors sur les autorités nationales pour s’opposer à de telles mesures, et nous prévoyons d’ici là plusieurs rencontres en ce sens.

Contact: N. Ferenczi

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