Répondre aux demandes des consommateurs de blé dur

La nouvelle gouvernance professionnelle de la filière française du blé dur. De gauche à droite : Frédéric Gond, Didier Jeannet, Edouard Cavalier, Alex Cacelli, Jean-François Gleizes, Nicolas de Sambucy et Frédéric Boursiquot.

 

Les 300 représentants de la filière blé dur française réunis à Tours le 5 février 2019 veulent prendre en main leur avenir. L’effritement des surfaces annoncé pour la récolte 2019 n’entame pas leur volonté de valoriser leur savoir-faire et d’innover pour satisfaire les consommateurs.

Le 5 février 2019 avait lieu à Tours la 21ème Journée nationale Blé dur, qui réunissait 300 représentants de la sélection variétale, la recherche, la production, la collecte, la transformation et l’exportation. En introduction, Philippe Pinta, président de l’AGPB, soulignait les défis auxquels font face les producteurs de blé dur cette année, avec des conditions de semis très sèches et un prix de marché à peine supérieur à celui du blé tendre donc absolument pas incitatif. C’est ce qui explique la baisse de 25% des surfaces attendue pour 2019 d’après Arvalis. Les céréaliers, et tout particulièrement ceux du sud qui sont dans une situation économique critique, se battent pour bâtir un avenir meilleur à travers la relance de la recherche variétale, une amélioration de la valorisation sur les marchés, le développement des outils de gestion des risques comme l’épargne de précaution et l’assurance récolte, et une meilleure reconnaissance du blé dur dans la PAC.

Jean-François Gleizes, qui a œuvré depuis plusieurs décennies pour bâtir et développer la filière française du blé dur, a souhaité prendre du recul en présentant la nouvelle gouvernance collégiale du côté des agriculteurs, composée de 9 producteurs de blé dur des quatre principales régions productrices (voir photo). Leurs responsabilités se répartissent de la manière suivante :

  • Syndical : Nicolas De Sambucy (Sud-Est)
  • Recherche et innovation : Didier Plaire (Ouest-Océan) et Didier Jeannet (Sud-Ouest)
  • Sélection et semences : Frédéric Boursiquot (Ouest-Océan) et Michel Pontier (Sud-Est)
  • Economie et mise en marché : Frédéric Boursiquot et Didier Plaire (Ouest-Océan), Edouard Cavalier et Alex Cacelli (Sud Est)
  • Relation consommateurs et promotion : Frédéric Gond (Centre)
  • Relation Europe et Méditerranée : Jean-François Gleizes (Sud-Ouest)

Jean-François Loiseau, président de l’interprofession céréalière, évoquait ensuite le plan de transformation de la filière et la nécessité, dans la compétition mondiale, de développer la marque France pour le blé dur transformé en France et d’améliorer l’environnement politique et réglementaire aux niveaux national (fiscalité, coûts de production), européen (distorsions liées à la PAC) et international (barrières douanières et marchés subventionnés comme en Turquie et au Mexique).

La première séquence de la journée, consacrée à la consommation et aux réponses possibles des producteurs et collecteurs, était marquée par une brillante description de l’évolution des attentes des consommateurs par Pascale Hebel, directrice du pôle Consommation et entreprises du CREDOC. L’environnement est une préoccupation qui monte et qui est plus affirmée chez les plus jeunes et les plus diplômés. Mais le souci de la santé est encore plus fort, et l’aliment de qualité devient synonyme de produit frais, « bio », local, « naturel » (une spécificité française ») et surtout « sans » (OGM, pesticides etc.). Et les trois tendances émergentes, très présentes chez les moins de 24 ans, sont la promesse nutritionnelle, la praticité et l’éthique. Pascale Hebel met donc en avant deux priorités pour la filière : développer la fortification nutritionnelle (enrichissement en protéines et autres constituants) et prendre la parole face à la société, en particulier pour ce qui concerne Arvalis et les industriels de la transformation.

Marine Caracos, ingénieure au service Qualités Valorisations d'Arvalis, faisait ensuite le point sur l’une des demandes des consommateurs : des grains sans résidus donc du stockage sans insecticide. Les alternatives existent en préventif comme en curatif, avec les poudres minérales, les nettoyeurs-séparateurs, les traitements thermiques et les parasitoïdes. Mais ils sont plus chers (une poudre minérale coûte 8 fois le prix d’un insecticide et une thermo-désinsectisation 10 fois) et complexes à utiliser, ils doivent souvent être combinés et ils nécessitent des capteurs et des outils d’aide à la décision sophistiqués.

Frédéric Robert, responsable de la Plateforme Agroécologie EPLEFPA de Toulouse et animateur du réseau RésoPest, faisait ensuite état des résultats de l’expérimentation menée depuis 2012 au sein du lycée agricole d’Auzeville. L’absence totale de pesticides en culture de blé dur n’est pour l’instant pas viable économiquement : perte de rendement de 1 à 3 t/ha, essentiellement du fait de la rouille brune et de la fusariose, risques sanitaires élevés (mycotoxines une année sur 3) et nettes baisses de qualité (protéines). Il recommande un semis retardé (15 novembre) à forte densité (au moins 300 g/m2), une fertilisation azotée renforcée et plus tardive, et la mise en place de stratégies de différentiation (zéro résidus, HVE, produit local) pour obtenir une prime par rapport au prix du marché.

Michel Bonnefoy, ingénieur régional Arvalis Centre Val de Loire, faisait ensuite le point sur la production de blé dur en agriculture biologique. Par rapport au blé tendre, le blé dur a pour particularités un fort besoin en azote, une grande exigence en phosphore, une capacité concurrentielle plus faible face aux adventices, une sensibilité aux maladies des épis et bien sûr des exigences et des risques de qualité plus forts : protéines (>12%), mitadinage (<30%), moucheture. Face aux contraintes de la production biologique, les principaux leviers sont l’apport de matière organique pour l’azote, les rotations pour le désherbage et l’azote, et la sélection variétale (variétés couvrantes, protéines, faible sensibilité au mitadinage, aux fusarioses et à la rouille brune) malheureusement très insuffisante. Pour gérer les protéines et le mitadinage, il faut privilégier des engrais organiques à action rapide (lisiers…) si possibles apportés début montaison et enfouis à la herse étrille, et les précédents en légumineuses. Le blé dur en bio pose un vrai problème de durabilité à cause de l’appauvrissement des sols en phosphore et bien sûr sur le plan économique, puisque son prix est à peine supérieur à celui du blé tendre bio (environ 400 €/t) alors qu’il faudrait un écart de 100 à 150 €. C’est ce qui explique la faiblesse de la production française (4500 t/an dont 3000 dans le sud) et sa faible croissance, l’essentiel de la consommation étant importé d’Italie et d’Espagne sous forme de pâtes.

Marie-Catherine Aune, directrice marketing du groupe Panzani, a également détaillé le marché français des pâtes en grandes surfaces, qui représentait en 2018 un volume de 407 kt (en croissance annuelle de 0,5%) et une valeur de 700 M€ (également +0,5%) avec trois marques très installées et une présence du consommateur en rayon qui ne dépasse pas 15 secondes. Le gros du marché est le segment "qualité supérieure", c'est à-dire le standard qui pèse 72% des volumes. Les prix y ont nettement baissé (-18% en 5 ans) et sa part s'effrite (-0,6%) au profit des segments à valeur ajoutée dont certains sont en baisse (-16% pour le sans gluten) mais les autres en forte hausse: la naturalité (bio 2,5% en volume, +20%; complet 1,6% en volume, +12% ), la praticité (cuisson rapide 12% en volume, +3%) et le premium (marques de gamme italiennes 2,5% en volume, +20%) dont les prix atteignent 2 à 3 fois le standard. Panzani anime le marché de manière très active, à la fois sur le standard avec l'étiquetage "filière blé responsable français" dès avril 2019, et sur les segments à valeur ajoutée avec les lancements à venir d'un emballage FSC sur les pâtes biologiques, d'une gamme "moule en bronze" et de mélanges penne+quinoa. L'entreprise a une politique de durabilité. Elle prévoit d'augmenter les prix aux agriculteurs et de s'engager d'ici 2020 sur 100% de blés d'origine France et zéro résidus de pesticides.

Nicolas Ferenczi nferenczi@agpb.fr