Les projets européens de stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » dévoilés le 20 mai dernier ciblent la production agricole en proposant une réduction des surfaces productives et des intrants. En attendant l’étude d’impact de la Commission européenne, le ministère de l’agriculture américain USDA vient de publier la première évaluation sérieuse des effets de ces projets sur l’agriculture, le commerce extérieur et la sécurité alimentaire.
Les projets de stratégies et leurs objectifs chiffrés
Dans ses projets de stratégies « De la fourche à la fourchette » (F2F) et « Biodiversité » dévoilés le 20 mai dans le cadre du « Green deal », la Commission européenne, propose pour l’agriculture un ensemble d’objectifs chiffrés basés aussi bien sur des indicateurs d’impact que sur des indicateurs de moyens. Parmi ces derniers, l’attention des producteurs de grandes cultures est focalisée sur 4 objectifs de moyens à atteindre d’ici 2030 :
- Baisse de 50% de l’usage des produits phytosanitaires
- Baisse de 20% de l’usage des engrais[1]
- 25% de la surface agricole consacrée à l’agriculture biologique
- 10% de la surface agricole consacrée à des usages non productifs
On peut remarquer que ces 4 objectifs ont une pertinence douteuse, puisqu’ils concernent des moyens, et que leur lien avec les impacts recherchés (amélioration de la santé, de l’état de l’air, de l’eau, de la biodiversité…) est discutable. D’autre part, ces objectifs, bien que chiffrés, manquent de précision sur les indicateurs comme sur l’année de référence. En outre, l’évaluation de leur impact est compliquée par de nombreuses incertitudes : évolution future des rendements, de la demande et des prix des aliments conventionnels biologiques....
Contrairement à la réforme de la PAC, qui est à un stade avancé du processus législatif, les stratégies F2F et Biodiversité sont pour l’instant à un stade initial, c’est-à-dire une simple « communication » de la Commission européenne sans valeur juridique.
Malgré les demandes pressantes du Conseil et du Parlements européens, la Commission européenne n’a toujours pas publié d’étude d’impact des stratégies F2F et biodiversité. Elle assure qu’elle le fera, mais sans annoncer d’échéance précise, en laissant entendre qu’il faudra attendre la publication de ses propositions législatives.
La simulation de l’USDA
L’USDA a publié le 2 novembre la 1ère étude d’impact réellement documentée sur les conséquences pour l’agriculture et l’alimentation de l’adoption de trois des objectifs de ces stratégies européennes :
- Baisse de 50% de l’usage des produits phytosanitaires
- Baisse de 20% de l’usage des engrais
- Baisse de 10% de la surface agricole productive
Il faut noter que le 3ème obectif est légèrement différent de celui de la Commission, que l’évaluation USDA n’a pas pris en compte l’objectif de 25% de la SAU en agriculture biologique, et qu’elle a intégré un 4ème objectif également contenu dans la stratégie F2F : la réduction de 50% de l'usage des antibiotiques en élevage.
L’étude d’impact utilise un modèle informatisé d’équilibre général partiel, le GTAP-AEZ, qui simule la production, les prix et les échanges commerciaux agricoles dans 18 zones agro-écologiques mondiales et prend en compte l’allocation des surfaces agricoles et non agricoles. Les résultats sont calculés à moyen terme, après 8 à 10 ans suivant la mise en œuvre des objectifs de réductions. Les effets sont mesurés en Europe d’une part et dans l’ensemble du monde d’autre part, et ceci dans 2 scénarios principaux : l’UE seule adopte les mesures, ou ces mesures sont adoptées dans tous les pays (tableau ci-joint).
Les auteurs prévoient en Europe une baisse de la productivité agricole (principalement en grandes cultures) et ne tiennent pas compte du progrès technique ni de changements importants dans la demande (réduction des pertes, changements de régimes), ce qu’ils justifient par le fait que la R&D et les changements alimentaires demandent plus d’une décennie pour avoir un effet.
Le scénario d’adoption des mesures dans l’UE seule, de loin le plus probable à court et moyen terme, laisse prévoir une baisse de -12% de la production agricole et agro-alimentaire de l'UE et une hausse de 17% des prix agricoles et alimentaires, l’ensemble se traduisant par une baisse de -16% du revenu agricole brut. En grandes cultures, l'impact serait nettement plus violent puisque le modèle prévoit une baisse des volumes produits de -49% en blé, -20% sur les autres céréales et la betterave et -60% en oléagineux. La baisse de production serait de -15% en bovins viande, -12% en lait et -5% en fruits & légumes.
Logiquement, les exportations agro-alimentaires européennes diminueraient de -20% et les importations augmenteraient de 2%, le reste du monde se substituant à l’UE pour compenser l’essentiel de la production perdue. La hausse des prix alimentaires, significative dans le monde entier (+9%), aurait un impact important sur les populations les plus démunies des pays en développement, dont le nombre d’habitants en insécurité alimentaire (moins de 2100 calories par jour) augmenterait de 22 millions, essentiellement en Afrique.
[1] Selon la DG Environnement de la Commission, les -20% d’usage des engrais ne sont pas un objectif en tant que tel mais un résultat attendu d'un autre objectif également inscrit dans le projet de stratégie F2F: la baisse de 50% des pertes de nutriments azotés et phosphorés liées aux fertilisants.