Lors de l’AG de l’UFS le 5 novembre consacrée à la stratégie européenne Farm to Fork, Pascal Lamy, Eric Thirouin et Dominique Reynié ont souligné, chacun à sa manière, l’apport essentiel de la recherche semencière à la durabilité de l’agriculture.
L’assemblée générale de l’UFS (Union française des semenciers), qui s’est tenue virtuellement le 5 novembre était, cette année, consacrée à la stratégie européenne Farm to Fork et à ses liens avec la filière des semences.
Le premier grand témoin, Pascal Lamy, ancien commissaire européen et ancien directeur général de l’OMC, introduisait la journée en présentant le contexte alimentaire mondial, avec une demande portée à la fois par la croissance démographique, une transition nutritionnelle dans les pays du sud et pour 20% une demande « précautionniste » dans les pays développés, avec les préoccupations liées à la santé, l’environnement, les craintes phytosanitaires. Du côté de l’offre, la croissance est pour l’essentiel permise par l’innovation, l’augmentation des surfaces agricoles ne pesant que pour 20%.
L’Europe a lancé son pacte vert en 2019, en réponse à la poussée écologiste aux élections européennes. La stratégie Farm to Fork, qui en est le volet alimentaire, vise la durabilité sans réconcilier les antagonismes sur des questions comme la productivité ou les techniques génomiques. Or la sécurité alimentaire n’a pas de frontière, et celle de l’Europe peut être l’insécurité alimentaire des autres continents. Si l’Europe diminue ses exportations et renonce à nourrir « l’énorme estomac chinois », elle perdra son influence ainsi qu’une grande part de sa richesse, puisqu’elle est le premier exportateur agro-alimentaire mondial et qu’il s’agit essentiellement de produits transformés à forte valeur et à valeur ajoutée croissante.
Pour trouver l’articulation manquante, il est indispensable de développer et d’élargir le concept de sécurité alimentaire (quantités, qualités mais aussi impacts environnementaux) et de nourrir le débat public par une approche narrative, notamment sur les innovations, ce qui améliorera leur perception par l’opinion. Ce n’est qu’à ce prix que l’Europe et la France maintiendront leurs avantages compétitifs (climat, diversité, innovation, valeur ajoutée, qualité, volumes et valeur des exportations) et feront de Farm to Fork un outil d’influence en conciliant leadership de la transition agroécologique et leadership de la transformation alimentaire.
Lors de la table ronde consacrée à la durabilité des filières agricoles, Eric Thirouin, président de l’AGPB et du Contrat de solutions, affirmait d’entrée l’excellence de l’agriculture française vis-à-vis de la durabilité. L’attractivité des territoires français pour les visiteurs étrangers, comme la résilience démontrée par nos filières alimentaires face à la crise du Covid, en sont des signes tangibles.
S’il partage les objectifs de durabilité de la stratégie Farm to Fork, Eric Thirouin émet en revanche des réserves sur la logique de décroissance sous-tendue par la conversion de 10% de la surface agricole en surface non productive. La vocation des producteurs est à la fois de produire plus et mieux pour satisfaire la demande alimentaire. Produire mieux fait appel à l’innovation, l’agriculture de précision, et l’amélioration variétale. L’agriculture a besoin d’une recherche semencière qui accélère en faisant appel aux NBT (et non aux OGM), tout en poursuivant les 3 objectifs de durabilité : économique, environnemental et social. Entre l’agriculture biologique et conventionnelle, nous avons besoin d’une troisième voie, incarnée par la certification environnementale de niveau 2, qui doit trouver sa place dans le futur Ecoscheme de la PAC.
Eric Thirouin concluait son intervention en présentant le Contrat de solutions : après la loi Biodiversité de 2016 qui posait des interdictions de produits phytosanitaires sans se soucier des conséquences, 40 organisations nationales de la filière agricole se sont regroupées pour affirmer et faire comprendre qu’on n’y arriverait pas sans alternatives. Le Contrat de solutions, dont c’est la 6ème version, recense 86 alternatives permettant de diminuer l’usage ou l’impact de produits de protection des plantes, présentées en 86 fiches dont 22% concernent l’amélioration variétale.
Un autre temps fort de la journée était l’intervention de Dominique Reynié, politologue, directeur général de Fondapol (Fondation pour l’innovation politique) et professeur à Sciences Po. Au-delà de la sécurité alimentaire évoquée précédemment par Pascal Lamy et dont nous bénéficions, il a mis en avant la nécessité d’une souveraineté alimentaire. Comme l’a illustré en négatif la crise du Covid dans le domaine des produits et matériels de santé, notre autonomie alimentaire suppose une capacité à exporter, à produire plus, à offrir du choix aux autres pays.
De ce point de vue, la stratégie Farm to Fork est une bonne chose si elle est liée à des objectifs de souveraineté, de puissance alimentaires et de prospérité. C’est au contraire une impasse si elle est conçue comme une réponse aux préoccupations déraisonnables d’une minorité de citoyens urbains, et aux craintes des pouvoirs publics, tétanisés à l’idée de froisser certains mouvements activistes. D’autant que l’agribashing n’est pas un phénomène général mais superficiel et surmédiatisé, qui provient en France des 41 villes de plus de 100 000 habitants, alors que celles-ci représentent moins de 10% du corps électoral. Face à cette culture désincarnée et surreprésentée, il est essentiel que le monde agricole construise des réseaux d’émetteurs pour documenter le débat sur l’alimentation.
Il faut tirer les leçons de la crise du Covid, de la situation chaotique aux Etats-Unis, de la dégradation de nos relations avec la Turquie : le monde est de moins en moins sûr et l’Europe est fragile. Nous devons amener nos concitoyens à le réaliser et à compter sur eux-mêmes pour bâtir une autonomie européenne qui dépend largement de notre agriculture.
Nous sommes un pays d’inventeurs et de génies. Aujourd’hui, 41% de brevets sur l’édition du génome sont chinois, 41% américains, et 8% européens. Renoncer à la recherche biotechnologique serait se priver de la puissance de l’esprit, ce serait un désastre.
A une question concernant la Convention citoyenne sur le climat, Dominique Reynié répondait pour conclure : « oui s’il s’agit de consulter, d’informer, d’échanger. Mais s’il s’agit d’utiliser les propositions de citoyens non élus et sans compétences spécifiques en leur donnant force de loi pour décider de l’avenir de secteurs innovants, alors c’est un mauvais usage et c’est déraisonnable ».
Le ministre de l'agriculture Julien Denormandie concluait cette assemblée générale par un message de soutien très attendu.